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vailler à notre conservation, sans troubler celle des autres, et sans nous affliger nous-mêmes. J’ai faim, j’ai soif, je désire satisfaire ces besoins ; j’espère d’en trouver les moyens ; mon espoir ne sera point frustré ; je trouverai sûrement quelqu’un qui m’aidera ; mon bien n’est que différé, mais certain : voilà une sorte d’espérance qui excite en moi des dispositions à rendre les mêmes services.

J’aperçois quelque chose de nuisible, je la fuis, je l’évite ; on vient à mon secours : voila encore une crainte salutaire, mais qui n’est causée par aucune créature raisonnable, et qui ne peut me porter moi-même à rien de nuisible contre elle. L’un de ses sentiments rend l’homme bienfaisant, et l’autre ne peut le rendre vicieux.

Jamais, au contraire, une espérance agitée des soucis de l’incertitude, une crainte effrayante, soit de manquer de tous secours humains, ou de n’éprouver que des disgrâces de la part des méchants, ne peut disposer l’homme à une véritable bienfaisance ; et c’est dans ce sens que je dis qu’elle ne peut naître ni de l’espérance, ni de la crainte.

De tous ces raisonnements fondés sur l’expérience, il faut conclure que, pour rétablir la probité naturelle de l’homme dans toute son intégrité et sa vigueur, la morale devait, par tous autres préceptes que ceux qu’elle emploie ordinairement, travailler à rendre l’homme bienfaisant, indépendamment de toute autre considération que de son vrai bonheur. On peut donc justement lui reprocher de corrompre ce tout-puissant motif.