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facultés de l’esprit et du cœur[1] ; mêmes moyens de perfectionner en nous l’idée d’une sagesse et d’une honte infinie ; même réciprocité entre la bienfaisance et le désir d’être heureux.

Mais malheureusement il était possible que ces heureuses dispositions changeassent, et que l’homme se nuisit à lui-même et à toute son espèce. Une seule chose pouvait causer ce renversement ; tout prouve que c’était la propriété. L’homme pouvait connaître ce danger et s’en garantir : si cela fût arrivé, il est certain que la vue du précipice, et la simplicité des moyens qu’offrait la nature pour l’éviter, auraient encore produit dans la créature un nouveau degré d’admiration des bontés et de la sagesse divine, et l’auraient plus fortement attaché à ces seuls moyens d’être heureux.

  1. Une académie a demandé aux savants : Si le rétablissement des arts et des sciences a contribué à épurer les mœurs.

    Dans les deux hypothèses précédentes, cette question serait bientôt résolue, aussi bien que dans celle-ci : en supposant que les nations n’eussent point été corrompues par la propriété, il est indubitable que l’étendue des connaissances n’eût fait qu’améliorer les hommes.

    Je crois que ce corps célèbre a voulu se divertir en couronnant le hardi sophiste qui a soutenu la négative, et qu’il a voulu lui-même rire aux dépens de la raison, en prenant pour corruption de mœurs le juste mépris que les arts et les sciences nous ont appris à faire de quantité de fadaises ; il a pris pour corruption de mœurs, des vices devenus moins grossiers, moins d’hypocrisie, moins de cette farouche et pédantesque morosité qui se gêne pour acquérir le droit de censurer le reste des hommes, plus d’aisance et de liberté dans le commerce de la vie. Il n’a pas vu, ou a négligé de voir que si les arts et les sciences, en instruisant les hommes des vrais agréments de la société, en bannissant la barbarie, en multipliant nos plaisirs, paraissent, à certains égards, avoir irrité la cupidité, ce n’est point que ces connaissances aient d’elles-mêmes cette propriété malfaisante, mais parce qu’elles se trouvent malheureusement mêlées avec le principe venimeux de toute corruption morale, qui infecte tout ce qu’il touche.