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probité, la vertu ; que l’aristocratie se soutient par la modération ; que la monarchie se fonde sur l’honneur ; que i la crainte affermit le rigoureux empire du despotisme[1]. Quels frêles supports, grand Dieu ! tous portent plus ou moins sur la propriété et l’intérêt, les plus ruineux de tous les fondements.

Dans une république, l’intérêt personnel et particulier, tempéré par une sorte d’égalité de fortune et de condition, reste quelque temps en équilibre avec l’intérêt commun de la société : les hommes, moins éloignés de leur état naturel, sont moins vicieux ; ce moins fait leur vertu ; mais tout équilibre est un état violent que le moindre poids rompt facilement. Pourquoi suspendre ainsi ce qui pouvait demeurer de niveau sur une base ferme et stable ? pourquoi restreindre le bien public par la chose du monde plus capable de le détruire, par une propriété qui incline si facilement l’homme à l’usurpation ? Qu’opposerez-vous à ce penchant avide ? de faibles vertus qu’il saura adroitement faire servir à ses fins, et rendra bientôt quelques familles maîtresses des fonds de la société et du gouvernement : voilà l’intérêt commun de toute une nation transformé en celui de quelques personnes unies pour asservir la multitude ; est l’aristocratie dont les membres ont besoin d’une modération qui prévienne entre eux toute jalousie, ou qui dérobe au peuple la vue d’une domination qui lui deviendrait odieuse : telle est, dans ce gouvernement, l’ombre de liberté que lui laissent les grands ; mais, sitôt qu’ils sortent des bornes de cette modération, un d’entre eux profite adroitement ou de leurs discordes ou de la haine publique contre ses égaux ; il favorise la multitude qui le porte sur le trône, ou bien il y parvient par les mêmes degrés qui avaient élevé les familles qu’il réduit

  1. Esprit des lois, livre III