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Dessus son front poli il sema les beautez,
En ses yeux il logea mille douces clairtez,
Sur sa bouche il asseit le miel & l’ambrosie,
Il doua son parler de grace & de douceur,
Il mit la Courtoisie & l’Amour en son cueur,
Et en perfections la rendit accomplie.

Tout aussi tost que l’homme eut veu œuvre si beau,
Aussi tost fut espris d’un amoureux flambeau,
Et atteint des beaux yeux & bonne grace d’elle ;
Dieu le voulant ainsi la prit & l’espousa,
Et plein de loyauté son cueur se disposa
A l’aimer & cherir d’une amour immortelle.

De là le Mariage eut son commencement,
Lien heureux & doux, plein de contentement,
Qui en toute Delice avec Largesse abonde,
Plaisant à l’abordee & plaisant au millieu,
Plaisant jusqu’à la fin, & qui peut en tout lieu
Estre dict & nommé l’Excellence du monde.

Il ha dessous ses pieds la Tristesse & le Dueil,
Il est tousjours paré d’un favorable Accueil,
L’Amour le suit sans fin, le Plaisir le talonne :
Il ha pour compaignons marchants à son costé
L’immuable union, la Foy, la Loyauté,
Le Pudique Desir & la Volonté bonne.

Le Discord envieux ne l’accoste jamais,
Car il florist tousjours en immortelle Paix :
Le Courroux & l’Ennuy ne sont point de sa suite :
Le Soupçon, le Regret, le fascheux Repentir,
Et tout cela qui peut rendre un homme martyr,
Au seul object de luy se mettent tous en fuite.

O Dieu, combien tu as l’Homme favorisé
D’avoir en son esprit le desir attisé
Prendre femme & l’aimer tout ainsi que soy mesme !
Pouvois-tu, ô bon Dieu, plus de bien luy donner,
Et de plus rares dons le pouvois-tu orner ?
Certes non : car c’est l’heur de tous heurs le supresme.

On a parlé jadis des champs Elysiens,
Où les ames estoyent au comble de tous biens,
En plaisir eternel dessous un verd ombrage ;
Chacun prise la joye & l’heur de Paradis.
Mais je ne puis penser que ce soit rien au prix,
Ni que le Paradis s’égale au Mariage.

D’avoir de jour & nuict aupres de son costé
Une femme pudique & pleine de beauté,
Avoir toutes faveurs que lon veut & demande,
Jouir de ses baisers doucement attrayants,
Veoir à l’entour de soy nombre de beaux enfans,
Y-a-til quelque joye en Paradis plus grande ?