et celui qui fut vraiment, sinon le créateur, tout au moins l’initiateur du genre, celui qui le premier fit jaillir descendres refroidies du passé une étincelle de vie, c’est celui qui fut aussi l’initiateur de l’histoire moderne — j’entends de l’histoire considérée comme œuvre d’art — ce Chateaubriand dont la grande figure domine tout notre xixe siècle littéraire et se dresse à l’entrée de toutes ses avenues. Je ne citerai pas une fois de plus la page fameuse d’Augustin Thierry, si souvent alléguée et que tout le monde connaît ; mais je ne puis m’abstenir de rappeler ici que c’est de Chateaubriand et de ses Martyrs, et, pour préciser encore, du VIe livre des Martyrs, tout plein d’une si pittoresque et si poétique barbarie, que se sont inspirés et réclamés les jeunes écrivains qui, aux alentours de 1830, ont entrepris de faire de l’histoire le récit animé et vivant des actions des hommes, de nous restituer non seulement la teneur et la trame des faits, mais le décor où ils se sont encadrés, mais les passions dont ils ont été les gestes, mais les idées, les croyances, les préjugés ou les mirages qui ont mis ces passions en jeu, de représenter chaque époque, chaque peuple, chaque siècle, avec sa façon propre d’être, de penser et de vivre, son langage, son costume, sa couleur, en un mot non pas d’enregistrer mais de ressusciter le passé. Cette devise féconde que Michelet n’avait pas encore inscrite au fronton de son Histoire de France, mais dont son Histoire du Moyen Âge était, avant la lettre, l’illustration, elle convenait aux poètes encore plus qu’aux historiens, et il était naturel que le mot d’ordre passé par la poésie à l’histoire fût repassé par l’histoire à la poésie. C’est de la rencontre de cette conception poétique de l’histoire avec l’idée, chère aux philosophes, du progrès indéfini ou tout au moins de l’évolution nécessaire de l’humanité que sortit, entre 1850 et 1860, cette renaissance de l’épopée que, dès 1828, en une page quasi prophétique, Quinet avait appelée et annoncée. Aux épopées à la façon antique, Iliade ou Odyssée, Ramayana ou Mahabarata, « conçues par l’esprit national,… œuvre et tableau d’une race et d’une nation », il opposait l’épopée de Dante, qui lui apparaissait comme « l’œuvre et l’image du genre humain »
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LECONTE DE LISLE