Descends de ton gibet sublime,
Pâle crucifié, tu n’étais pas un Dieu !…
Cadavre suspendu vingt siècles sur nos têtes,
Dans ton sépulcre vide il faut enfin rentrer.
Ta tristesse et ton sang assombrissent nos fêtes ;
L’humanité virile est lasse de pleurer.
Le poète, il est vrai, relève le blasphème. « Non, s’écrie-t-il, Fils du charpentier, tu n’avais pas menti ! »
Tu n’avais pas menti ! Ton Église et ta gloire
Peuvent, ô Rédempteur, sombrer aux flots mouvants ;
L’homme peut, sans frémir, rejeter ta mémoire,
Comme on livre une cendre inerte aux quatre vents !…
Car tu sièges auprès de tes Égaux antiques,
Sous tes longs cheveux roux, dans ton ciel chaste et bleu :
Les âmes, en essaims de colombes mystiques,
Vont boire la rosée à tes lèvres de Dieu !
Et, comme aux jours altiers de la force romaine,
Comme au déclin d’un siècle aveugle et révolté,
Tu n’auras pas menti, tant que la race humaine
Pleurera dans le temps et dans l’éternité[1].
Il semble que Leconte de Lisle ne se résigne pas sans peine à livrer à l’oubli cette grande figure, qui incarne aux yeux du monde, des incrédules aussi bien que des croyants, la compassion épanchée sur toutes les misères humaines et l’infinie miséricorde. Il faut pourtant qu’elle y descende et s’y ensevelisse comme les autres, puisque c’est la commune destinée de tous les êtres surnaturels auxquels l’humanité a voué successivement son admiration et son amour. Tel est, en fait d’histoire des religions, le dernier mot du poète. Il nous est donné dans la grande pièce, d’une magnifique tristesse, intitulée La Paix des Dieux, œuvre de ses dernières années, qui figure en tête de ses Derniers Poèmes et peut servir de conclusion, dans l’ordre d’idées où nous sommes, à toute son œuvre.
L’homme demande au Démon qui le hante sans cesse, à « cet âpre désir des choses éternelles » qui fait à la fois sa vie et son
- ↑ Poèmes Barbares : Le Nazaréen.