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LES ORIGINES, L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE

L’habitation de Villefranche, comprise du nord au sud entre les ravines de Saint-Gilles et de Bernica, était bornée, dans sa partie basse, par la route de Saint-Paul à Saint-Leu, qui séparait les terres cultivées de la savane de Boucan-Canot. C’était une vaste lisière qui, d’après la concession faite au premier marquis de Villefranche (entendez : au marquis de Lanux), devait s’étendre de la mer aux sommets de l’île… L’emplacement où s’élevait la demeure du marquis était situé sur la cime aplanie d’un grand piton, d’où la vue embrassait la baie de Saint-Paul, la plaine des Galets et les montagnes qui séparent le quartier de la Possession de Saint-Denis. Vers l’ouest, en face de la varangue sous laquelle fumait M. de Villefranche, la mer déroulait son horizon infini. C’était un vaste tableau, où resplendissait, aux premières lueurs du soleil, cette ardente, féconde et magnifique nature, qui ne s’oublie pas…[1]


Et voici comment, du haut de ce belvédère naturel, Leconte de Lisle put voir bien des fois, à l’aurore, ce paysage magnifique s’éclairer peu à peu et se colorer à ses yeux :


Rien n’est beau comme le lever du jour du haut des mornes du Bernica. On y découvre la plus riche moitié de la partie sous le vent, et la mer à trente lieues au large. Sur la droite, aux pieds de la Montagne à Marquet, la savane des Galets s’étend sur une superficie de trois à quatre lieues, hérissée de grandes herbes jaunes que sillonne d’une longue raie noire le torrent qui lui donne son nom. Quand les clartés avant-courrières du soleil luisent derrière la Montagne de Saint-Denis, un liséré d’or en fusion couronne les dentelures des pics et se détache vivement sur le feu sombre de leurs masses lointaines. Puis il se forme tout coup, à l’extrémité de la savane, un imperceptible point lumineux qui va s’agrandissant peu à peu, se développe plus rapidement envahit la savane tout entière et, semblable à une marée flamboyante, franchit d’un bond la rivière de Saint-Paul, resplendit sur les toits peints de la ville et ruissette bientôt sur l’île, au moment où le soleil s’élance glorieusement au delà des cimes les plus élevées dans l’azur foncé du ciel. C’est un spectacle sublime qu’il m’a été donné d’admirer bien souvent…[2]


Derrière lui, sur les pentes supérieures, s’étendait, « dans toute l’abondance de sa féconde virginité », la forêt de Bernica.


Gonflée de chants d’oiseaux et des mélodies de la brise, dorée par-ci par-là des rayons multipliés qui filtraient au travers des feuilles, enlacée de lianes brillantes aux mille fleurs incessamment variées de forme et de couleur, et qui se berçaient capricieusement des cimes hardies des nates et des bois-roses aux tubes arrondis des papayers-lustres, on eût dit le Jardin d’Arménie aux premiers jours du monde, la retraite embaumée d’Ève et des Anges amis qui venaient l’y visiter. Mille bruits divers, mille soupirs, mille rires se croisaient à l’infini sous les vastes ombres des arbres, et toutes ces harmonies s’unissaient et se confondaient parfois, de telle sorte que la forêt semblait s’en former une voix magnifique et puissante[3]

  1. Leconte de Lisle : Marcie.
  2. Leconte de Lisle : Sacatove.
  3. Leconte de Lisle : Sacatove.