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ET LES DIEUX

Le plus beau, le meilleur d’une immortelle race
L’aube a de ses clartés tressé ses cheveux blonds,
L’azur céleste rit à travers ses cils longs,
Les astres attendris ont, comme une rosée,
Versé des lueurs d’or sur sa joue irisée,
Et les Dieux, à l’envi, déjà l’ont revêtu
D’amour et d’équité, de force et de vertu


enfin les sombres jours, les jours des épreuves sacrées, les puissances mauvaises déchaînées, les astres tourbillonnant au vent comme une grêle d’or, et se heurtant les uns contre les autres, et volant en éclats ; la Terre s’enfonçant avec horreur dans l’Océan noir[1]. Si ces légendes sont étranges, elles sont poétiques, et on comprend qu’elles aient séduit l’imagination de Leconte de Lisle. Mais, avec la même conscience, il contera, et par deux fois, la Genèse polynésienne, qui est bien, en fait de cosmogonie, ce qu’on peut trouver de plus plat et de plus sec. Le divin Mahouï, après avoir longtemps de son dos musculeux remué les montagnes et soufflé la flamme par les cratères des volcans, s’apaise enfin, son œuvre étant accomplie.


Il s’endormit dans Pô, la noire Nuit sans fin,
D’où vient ce qui doit nattre, où ce qui meurt retombe,
Ombre d’où sort le jour, l’origine et la tombe,
Dans l’insondable Pô, le Réservoir divin[2].


On le voit, aucune métaphysique, si rudimentaire soit-elle, ne paraît à Leconte de Lisle indigne d’être revêtue de ses vers. Mais, comme il est naturel, c’est aux grandes religions qui ont régné ou qui règnent encore sur l’humanité qu’il s’attarde avec prédilection.

Il s’est intéressé, un des premiers, sinon le premier, parmi les poètes de son temps, aux religions de l’Inde. Elles venaient de nous être révélées, grâce aux travaux des indianistes anglais, allemands et français du xixe siècle. Les grandes épopées et les livres sacrés, le Ramayana, le Mahabarata, le Rig-Véda, le Bhâgavata-Purâna venaient d’être traduits chez nous, dans la période qui va de 1840 à 1850, par les soins de Fauche, de Lan-

  1. Poèmes Barbares : La légende des Nornes.
  2. Derniers Poèmes : Le Dernier des Maourys.