Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

82
LECONTE DE LISLE

rales et absurdes » il y faut saluer au contraire « les grands symboles par lesquels les contemporains d’Hésiode et d’Homère traduisaient leur intuition des lois générales du monde[1] ». Les uns expriment le sentiment de la vie universelle les autres incarnent les principes primordiaux des choses ou les forces élémentaires de la nature ; les autres, les lois modératrices de l’univers. Les luttes où ils se heurtent sont une image de l’harmonie du monde obtenue par l’équilibre des contraires. Cette variété paraissait à Louis Ménard beaucoup plus conforme à la réalité, plus satisfaisante pour l’esprit que l’unité de l’lahveh biblique. Mais la meilleure justification du polythéisme hellénique, elle était pour lui dans le merveilleux développement de la civilisation grecque. « Les religions sont la vie des peuples elles en répondent devant l’histoire ; l’art, la science, la morale et la politique s’en déduisent comme une conséquence de son principe[2] Un jour viendra où la religion qui a fait la Grèce si grande sera jugée selon ses œuvres. Elle a passé vite, comme la beauté, comme le printemps, comme le bonheur ; mais elle a créé la civilisation grecque, et on ôterait plutôt le soleil du ciel que la Grèce de l’histoire[3]. » Elle en occupe « le point culminant ». Depuis lors, il n’y a eu que décadence, et Ménard en veut à Socrate et, avec Socrate, à tous les philosophes grecs qui ont détruit la religion de leur pays et ouvert ainsi une ère d’horreur, d’abaissement, d’oppression et de ténèbres pour l’humanité.

II

Si je me suis attardé à exposer par le menu les conceptions religieuses du « païen mystique », c’est que du même coup j’exposais par avance, au moins en partie, les conceptions religieuses de Leconte de Lisle. Celles-là ont, dans une large mesure, déterminé celles-ci. Le fait a été signalé il y a déjà longtemps, dès 1870, par quelqu’un — probablement Thalès Bernard — qui con-

  1. La Morale avant les philosophes.
  2. Ibid
  3. Du Polythéisme hellénique.