dont se forme la substance même des peuples », n’était autre que le sentiment religieux. « Ne croyez pas connaître un peuple si vous n’êtes remonté jusqu’à ses dieux. » Il se flattait d’apporter à cette étude non seulement la plus haute impartialité, mais la sympathie la plus entière : « Au lieu de porter l’esprit de mon temps dans ces temps reculés, j’ai cherché plutôt à dépouiller l’homme de nos jours pour revêtir l’homme antique. » Et, loin de voir dans les variations de la croyance humaine une preuve d’ignorance et de faiblesse, « le signe de la misère » de l’homme, il en faisait au contraire « le signe de sa grandeur ». L’homme « poursuit l’infini d’une poursuite éternelle, changeant de temple, de sanctuaire, de société, sans changer de désir. » L’historien qui s’apprête à le suivre dans ses démarches parfois déconcertantes déclare d’avance qu’il ne le fera qu’avec respect. « Dans ce pèlerinage à travers les cultes du passé, errants d’autel en autel, nous n’irons pas, infatués de la supériorité moderne, nous railler de la misère des dieux abandonnés ; au contraire, nous demanderons aux vides sanctuaires s’ils n’ont pas renfermé un écho de la parole de vie ; nous chercherons dans cette poussière divine s’il ne reste pas quelque débris de vérité… »
Ces idées étaient dans l’air au temps où Leconte de Lisle menait à Rennes la vie d’étudiant libre que nous avons décrite ; et, quand il revint de Bourbon en 1845, un des premiers articles qu’il put lire dans cette Phalange à laquelle il collaborait, ce fut une longue étude de Gérard de Nerval sur la manière dont le culte d’Isis se célébrait à Pompéi, qu’en revenant d’Égypte il avait visitée. Il s’était assis sur les ruines, dans le temple de la déesse, et il avait médité avec tristesse sur le sort réservé aux traditions religieuses du genre humain, réservé « au Christ lui-même, ce dernier des révélateurs, qui, au nom d’une raison plus haute, avait, autrefois, dépeuplé les cieux ».
Ô nature s’écriait-il, ô mère éternelle ! Était-ce là vraiment le sort réservé au dernier de tes fils eétestes ? Les mortels en sont-ils venus à repousser toute espérance et tout prestige, et, levant ton voile sacré, déesse de Saïs ! le plus hardi de tes adeptes s’est-il donc trouvé face à face avec l’image de la Mort ? Si la chute successivedes croyances conduisait à ce résultat, ne serait pas plus consolant de tomber dans l’excès contraire et d’essayer de se reprendre aux illusionsdu passé ?