Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

78
LECONTE DE LISLE

s’annonçait comme une apologie du sentiment religieux, soigneusement distingué, il est vrai, des formes religieuses. L’auteur y voyait un des plus beaux titres de l’espèce humaine, et « une loi fondamentale de notre nature ». Le moment lui semblait favorable, le règne de l’intolérance étant passé, « pour s’occuper de ce vaste sujet sans partialité comme sans haine,… pour juger la religion comme un fait dont on ne saurait contester la réalité, et dont il importe de connaître la nature et les modifications successives. » Si le sentiment religieux est un et indestructible, les institutions religieuses sont diverses et périssables ; mais le sentiment religieux ne peut se passer de leur soutien. « À chaque époque, la forme qui s’établit naturellement est bonne et utile ; elle ne devient funeste que lorsque des individus ou des castes s’en emparent et la pervertissent pour prolonger sa durée. » Le sentiment religieux, en dernière analyse, c’est le sentiment de l’infini. Comme il « se proportionne à tous les états, à tous les siècles, à toutes les conceptions, les apparences qu’il revêt sont souvent grossières. Mais, en dépit de cette détérioration extérieure, on retrouve toujours en lui des traits qui le caractérisent et le font reconnaître ». Que si certaines religions ont présenté des rites barbares ou licencieux, la faute n’en a pas été au sentiment religieux, mais aux prêtres qui s’en sont emparé à leur profit et ont usurpé le droit de parler au nom des puissances invisibles. Constant invitait d’ailleurs à distinguer non seulement entre les diverses religions, mais entre les diverses époques de ces religions, à ne pas confondre notamment sous le nom de mythologie la religion des Grecs et celle des Romains, alors que les dieux de la Grèce n’ont en commun avec ceux d’Ovide et de Virgile que le nom et quelques fables dont la signification avait changé.

En 1841, dans son Génie des Religions, Edgar Quinet développait avec éclat, en les appliquant aux religions de l’antiquité, des idées analogues. Il ne se proposait rien de moins que « de déduire de la religion la société politique et civile. » Il était persuadé que le principe de vie qui assure le développement et la conservation des sociétés, que « le génie éternellement présent,