et qu’il fit bien de garder, car si l’idée maîtresse n’en était pas neuve, même en 1845, le décor en est le plus magnifiquement barbare qu’il y ait dans les Poèmes Barbares et dans toute la poésie française.
Mais quand il la publia dans Le Parnasse, il y avait déjà longtemps que sa pensée avait pris, en matière de religion, un tour assez différent. Elle avait suivi le mouvement qui, depuis le commencement du siècle, entraînait des esprits pénétrants et libres à regarder de près les grandes manifestations religieuses de tous les temps, non pas pour y chercher des motifs de nier ou des raisons de croire, mais pour y étudier, comme à sa source même, la vie morale de l’humanité. Le xviiie siècle avait cru en finir avec ce qu’il appelait dédaigneusement les superstitions ». Mythes païens ou dogmes chrétiens, il les considérait indistinctement comme un ramas d’inventions ridicules ou odieuses, un tissu d’impostures imaginées par les prêtres et imposées par les rois. Mais on s’aperçut assez vite que l’explication était trop simple pour rendre compte d’un fait aussi universel, aussi inhérent à la nature de l’homme que le fait religieux. On essaya d’en donner une interprétation scientifique. Volney, dans Les Ruines (1791), Dupuis, dans l’Origine de tous les cultes (1795) rapportèrent à une cause unique la naissance de toutes les religions. Cette cause, c’était la crainte et en même temps la curiosité éprouvées par les premiers hommes devant la puissance mystérieuse qui se manifestait à eux par les grands phénomènes de la nature : sentiments que les prêtres de tous les temps n’avaient pas manqué d’exploiter. « L’histoire entière de l’esprit religieux, disait Volney, n’est que celle des incertitudes de l’esprit humain qui, placé dans un monde qu’il ne comprend pas, veut cependant en deviner l’énigme, et qui, toujours étonné de ce prodige mystérieux et visible, imagine des causes, suppose des fins, bâtit des systèmes, puis, en trouvant un défectueux, le détruit pour un autre non moins vicieux, hait l’erreur qu’il quitte, méconnaît celle qu’il embrasse, repousse la vérité qu’il appelle, compose des chimères d’êtres disparates, et, rêvant sans cesse sagesse et bonheur, s’égare dans un labyrinthe de peines et de folies. »