tout à fait en vue. C’est lui qui est en cause tout le long de ce Qaïn dont la masse colossale se dresse, dans les éditions actuelles, au frontispice des Poèmes Barbares. Nous sommes à la veille du Déluge. Le meurtrier d’Abel est mort depuis longtemps ; mais la ville qu’il a fondée pour y établir sa lignée,
Henokhia, cité monstrueuse des Mâles,
Antre des Violents, citadelle des Forts,
dresse toujours sur l’horizon livide ses « murailles de fer », ses
« palais cerclés d’airain » et ses « spirales de tours ». Au faîte,
couché sur le dos, la face tournée vers les nues, l’Ancêtre repose,
selon sa volonté, dans le sépulcre que les siens lui ont bâti. Mais
les temps sont venus ; la vengeance du Seigneur va s’accomplir
sur la race maudite. Qaïn sort de son sommeil. Dans un long
réquisitoire, tantôt violent et tantôt ironique, il rejette sur
l’Éternel le crime dont il va être puni dans ses fils. Il évoque les
souvenirs de l’Éden, de ce séjour de bonheur où il aurait dû
vivre, d’où il a été exclu dès avant sa naissance pour une faute
qu’il n’avait pas commise. Il se révolte contre le châtiment immérité. Il dénonce la fourberie d’Iahveh, l’embûche qui lui a été
tendue, le piège où il est tombé. Dieu l’a maudit : il maudit Dieu
à son tour. Cette humanité qu’Iahveh veut détruire, il prédit
qu’elle survivra au cataclysme qui doit l’engloutir. Elle se rira
de sa puissance, elle oubliera jusqu’à son nom affranchie de
la crainte, elle retrouvera le bonheur et rentrera dans l’Éden.
Tout disparaît sous les grandes eaux. Mais quand l’œuvre de
mort semble accomplie, le poète, ou plutôt le Voyant qui lui
prête ses yeux, aperçoit Qaïn le Vengeur, l’éternel
ennemi
d’Iahveh, qui marche, sinistre, dans la brume,
Vers l’Arche monstrueuse apparue à demi.
Il y a ici autre chose qu’une reconstitution préhistorique. Cet lahveh n’est pas seulement le Dieu de la Bible, dont il emprunte le nom. C’est le Dieu de toutes les religions qui adorent un être souverain et infini, tout-puissant et éternel, distinct du