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LECONTE DE LISLE

parce qu’il ne les avait pas. Faut-il s’étonner s’il prend en haine une société qui étouffe l’intelligence ? « Cela ne durera pas, s’écrie-t-il, il ne faut pas que cela dure. L’heure viendra où il faudra bien que tout cela croule. Avec quelle joie je descendrai de la calme contemplation des choses pour prendre ma part du combat et voir de quelle couleur est le sang des lâches et des brutes. Les temps approchent à grands pas, et plus ils avancent, plus je sens que je suis l’enfant de la Convention et que l’œuvre de mort n’a pas été finie. Que l’heure est longue à sonner ! Quand demain viendra-t-il ? Peut-être jamais. » Je sais bien qu’à cette lettre il y a un post-scriptum. Son auteur, en la relisant, s’est effrayé de ce qu’avait écrit sa plume : « Ne tiens pas compte de toutes les choses incohérentes que je viens de te dire : ma tête n’est pas encore bien remise ; j’ai la fièvre et le spleen ». On comprend tout de même mieux, quand on a lu ces confidences, que Leconte de Lisle ait accueilli avec un enthousiasme sans bornes la révolution qu’il avait appelée de ses vœux.

Il s’y jette à plein cœur et à plein corps. Un des premiers soins du gouvernement provisoire nommé le 24 février a été de charger, le 4 mars, une commission de préparer l’émancipation des noirs dans toutes les colonies françaises. Il est entendu qu’une large indemnité sera accordée aux propriétaires. Ceux-ci, néanmoins, sentent leurs intérêts menacés. Leurs mandataires en France protestent contre la mesure annoncée. Ils contestent au gouvernement provisoire le droit de la prendre. Cette attitude indigne les jeunes créoles de Paris. Sur l’initiative de Leconte de Lisle, une réunion a lieu ; il y prend la parole, il entraîne l’assistance ; une adresse au Gouvernement, qu’il a rédigée, est signée séance tenante.

Les soussignés, jeunes créoles de l’île de la Réunion, présents à Paris, viennent porter leur adhésion complète, sans arrière-pensée, au gouvernement de la République.

Nous acceptons la République dans toutes ses conséquences.

L’abolition de l’esclavage est décrétée, et nul Français n’applaudit plus énorgiquement que nous, jeunes créoles de l’île de la Réunion, à ce grand acte de justice et de fraternité que nous avons toujours devancé de nos vœux.

Nous tenons pour insensés et ennemis de leur pays ceux qui oseraient opposer une résistance coupable au décret libérateur du gouvernement provisoire.