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LECONTE DE LISLE

il avait fait de grands progrès. « Mon séjour à Bourbon, écrivait-il à Bénézit en 1845, ne m’a pas été inutile dans un sens : j’y ai vécu seul avec mes livres, mon cœur et ma tête… Les deux années qui nous ont séparés ont été favorables au développement de ma poésie ; ma forme est plus nette, plus sévère et plus riche que tu ne l’as connue ; à Rennes, je n’avais guère que des dispositions, comme on dit. » Avec ce qu’il appelle lui-même ses « poèmes grecs », il inaugure une nouvelle manière, moins « énergique » et moins « vivante », de son propre aveu, que l’ancienne, mais supérieure « sous le rapport de la pureté et de l’éclat ». Ces formules, que j’extrais d’une lettre au même Bénézit du 11 octobre 1846, méritent d’être retenues. Elles marquent le moment précis auquel Leconte de Lisle abandonne, sous les influences que nous avons indiquées, non pas le romantisme (il restera un romantique, dans le fond du cœur, toute sa vie), mais l’esthétique romantique, et en conçoit une autre, mieux appropriée à sa nature morale et à ses goûts littéraires, où le sentiment aura sa pudeur, où il sera discipliné, contenu, d’aucuns diront étouffé par l’art. Dans la seconde moitié de 1846, et en 1847, paraissent successivement dans La Phalange une dizaine de compositions dans lesquelles un sujet grec et mythologique sert parfois encore d’expression et de symbole à une pensée toute moderne, mais dans lesquelles aussi l’élément pittoresque et plastique, la couleur locale, l’exactitude archéologique prennent rapidement une place de plus en plus grande et qui tend à devenir prépondérante. Ces poèmes, dont deux seulement ont été rejetés par l’auteur de son œuvre définitive, Les Sandales d’Empédocle et Tantale, — forment comme le premier noyau des Poèmes Antiques, dans lesquels ils entreront, après avoir subi des modifications plus ou moins profondes, la plus apparente consistant dans la substitution des noms de la mythologie hellénique à ceux de la mythologie romaine. C’est l’Idylle Antique et l’Églogue Harmonienne, — actuellement les Éolides et le Chant alterné, — c’est Hylas, Glaucé, Thyoné, des fragments d’Orphée et Chiron — le futur Khirôn — et Niobé. Une série d’autres pièces continuent de traduire les inquiétudes métaphysiques, religieuses, sociales, dont la pensée de Leconte de Lisle est assaillie : La Recherche de Dieu, Le