solennelle dans le poème à la Vénus de Milo que La Phalange publia dans les premiers mois de 1846. La statue fameuse, que le hasard d’un coup de bêche donné par un paysan avait fait découvrir en 1820 dans une des Cyclades, était depuis vingt-cinq ans au Louvre, où elle recevait les hommages de ses adorateurs. C’est, j’imagine, au sortir d’une visite au musée, que Leconte de Lisle conçut les stances suivantes, que je tiens, et pour cause, à citer dans leur rédaction originale :
Salut, marbre sacré, rayonnant de génie,
Déesse irrésistible au port victorieux,
Pure comme un éclair et comme une harmonie,
Ô Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux !
Force génératrice en univers féconde,
De l’ombre et de la mort souffle toujours vainqueur,
Ô reine, nudité sublime, âme du monde,
Salut ! ta gloire ardente illumine mon cœur !
Salut ! à ton aspect le cœur se précipite,
Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs ;
Tu marches, fière et nue, et le monde palpite,
Et le monde est à toi, déesse aux larges flancs…
Bienheureux les enfants de la Grèce sacrée !
Oh ! que ne suis-je né dans leur doux archipel
Aux siècles glorieux où la terre inspirée
Voyait les cieux descendre à son premier appel !
Allume dans mon sein la sublime étincelle ;
N’enferme point ma gloire au tombeau soucieux ;
Et fais que ma pensée en rythmes d’or ruisselle,
Comme un divin métal au moule harmonieux !
Déesse ! fais surtout qu’embrasé de ta flamme,
À ton culte éternel je consacre mes jours,
Que je n’étouffe pas sur les autels de l’âme
La forme, chère aux dieux, la fleur de leurs amours
Sur le globe altéré de ta sainte caresse,
De l’Olympe infini daigne abaisser les yeux :
Sois de l’humanité la divine maîtresse,
Et berce sur ton sein les mondes et les cieux.
Cette année 1846 marque véritablement, dans la carrière poétique de Leconte de Lisle, une étape, et une étape décisive. Il se rendait compte lui-même que depuis qu’il avait quitté la Bretagne