les rédacteurs de La Démocratie Pacifique. L’un d’eux en parla avec éloges dans le numéro du 3 janvier 1846. Il y signalait « un sentiment élevé de la grandeur de l’homme et des splendeurs de la nature, de nobles élans vers l’idéal, une facture sévère et d’une rare distinction ». La fin de l’entrefilet dut, pour Leconte de Lisle, gâter tout. « On peut regretter, ajoutait le critique anonyme, la limpidité de la poésie du XVIIIe siècle. Il y avait, par bonheur, au nombre des lecteurs de La Phalange, des gens qui avaient le goût moins timide. Deux jeunes littérateurs, du même âge environ que Leconte de Lisle, lui firent particulièrement fête. Tous deux étaient imbus d’opinions avancées, tous deux passionnés pour la Grèce antique. L’un Thalès Bernard, fils d’un conventionnel, avait été, avant d’entrer au ministère de la guerre, le secrétaire de l’helléniste Philippe Lebas. Il occupait ses loisirs à traduire, en le complétant, le Dictionnaire mythologique de Jacobi. L’autre, Louis Ménard, à peine sorti de l’École normale supérieure, où il n’était resté que deux mois, avait publié, en 1843, une traduction en vers du Prométhée délivré d’Eschyle. Par eux Leconte de Lisle fut introduit dans une société plus littéraire que le groupe phalanstérien. Ils le mirent en relations notamment avec Baudelaire, que Louis Ménard avait eu pour camarade à Louis-le-Grand, avec Théodore de Banville, qui venait de donner coup sur coup Les Cariatides et Les Stalactites. C’était le moment où la renaissance hellénique suscitée par Chateaubriand et par Chénier, favorisée par la sympathie générale pour la cause de l’indépendance grecque, hâtée par les récits des voyageurs, accomplie par les découvertes des archéologues, les articles des critiques, les travaux des philologues et des esthéticiens, gagnait la poésie et l’art. Leconte de Lisle n’était pas grand clerc à cette époque, en matière d’antiquité. Il ne savait guère le grec, et on peut se demander même si vraiment il le sut jamais à fond, bien qu’il ait passé une partie de sa vie à traduire les poètes grecs. Mais, il avait naturellement le goût de la grandeur simple, des attitudes calmes et des lignes harmonieuses. Il avait comme un pressentiment de la beauté grecque. Ses amis n’eurent pas grand peine à le convertir au culte nouveau. Il y fit une profession de foi
Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/58
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LECONTE DE LISLE