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LECONTE DE LISLE

tion passionnelle et obtenue par l’organisation phalanstérienne, Charles Fourier, était mort en 1837 sans avoir réussi ni à imposer ses idées au public, ni à les réaliser dans les faits. Mais, sous le nom d’École sociétaire, un petit nombre de fidèles, groupés autour de Victor Considérant, avaient recueilli l’héritage du Maître et s’occupaient de propager la bonne doctrine. Après l’avoir prêchée de ville en ville, ils avaient, en 1843, créé ou ressuscité, pour la répandre, deux organes, une revue mensuelle, la Phalange, et un journal quotidien, la Démocratie Pacifique. C’est à l’une et à l’autre de ces publications que Leconte de Lisle s’était engagé à collaborer. Il ne s’y était pas décidé sans avoir hésité beaucoup et, pour commencer, refusé. Ce n’est pas qu’il eût de la répugnance pour les conceptions fouriéristes. On se souvient que La Variété avait, en son temps, signalé avec sympathie comme « un ouvrage sérieux a tranchant sur la foule des romans nouveaux, le livre où Mme Gatti de Gamond traçait le plan d’un Essai de réalisation d’une commune sociétaire, d’après le système de Charles Fourier. Mais, en 1845, s’il était d’accord en gros avec l’école, s’il pouvait même dire « qu’il partageait entièrement certains de ses principes », il se trouvait en dissidence avec elle « à l’endroit des conséquences arbitraires qu’à son avis, elle en déduisait « faussement ». D’où ses scrupules, « n’étant pas homme, disait-il, à écrire contre sa conscience en quoi que ce soit ». Ces scrupules, il avait fini, la nécessité aidant, par s’en dégager. Pour pouvoir vivre à Paris, il fallait entrer à La Démocratie Pacifique ; pour y entrer, il fallait être phalanstérien. « Je l’étais, tu l’es, écrivait-il, dès son arrivée en France, à son ami Bénézit, nous le sommes tous, nous qui croyons aux destinées meilleures de l’homme et qui confessons la bonté de Dieu artistes et hommes de science, nous tous qui savons que l’art et la science sont en Dieu, et que le beau et le bien sont aussi le vrai. Cela étant, j’y suis arrivé. » Ce fouriériste par persuasion n’était guère en état, on le comprend, de prêcher l’Évangile nouveau. Il lui fallait tout au moins commencer par l’apprendre. Pour lui en donner le loisir, on n’utilisa ses services que dans la partie littéraire des deux périodiques. Jusqu’à la fin, ou peu s’en faut, de 1846, il ne contribuera à La Démo-