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LES ANNÉES DE JEUNESSE

préfère, ce sont « les anges candides », Indiana ou Geneviève, c’est la « mystique Hélène » des Sept Cordes de la Lyre ; par-dessus tout, c’est i’énigmatique Lélia,


            Sublime esprit, éclair de son génie.
Mélange de beauté, de force et d’ironie,
Cœur éteint et brûlant, abtme, être inouï,
Dont le regard d’amour ou d’audace éblouit…


C’est cette incarnation du romantisme délirant, ce paradoxe psychologique, cette


Création étrange, âme vierge et blasée


cherchant de passion en passion un idéal qu’elle n’atteint jamais, c’est elle que l’imagination de Leconte de Lisle, à la suite de George Sand, dresse dans la solitude du Monteverdor, parmi les glaciers et les cimes, « seule en face de Dieu », comme un symbole de la conscience désorientée et tourmentée de l’humanité moderne.


Ô femme, que fais-tu ? Le bonheur effacé
Fait-il battre ton cœur au doux nom du passé ?
Les jours étincetants de ta fraîche jeunesse
Parfument-ils ton âme en leur lointaine ivresse,
Alors qu’avec l’amour et la sainte beauté
Les anges te dotaient de leur sérénité ?
Lorsque l’oiseau du ciel, s’éveittant à l’aurore,
Emplissait de ses chants les feuilles qu’elle dore.
Lorsque le vent léger frémissait dans les fleurs.
Te souvient-il des jours où, tes beaux yeux en pleurs,
Tu mêlais à ces voix ton hymne d’innocence,
Et de Dieu dans le ciel, tu cherchais la présence ?…
— Non, plus de chants, de pleurs, et surtout plus d’amour
Lélia ! ton Éden se ferme sans retour ;
L’antique Chérubin pour toi reprend son glaive,
Car l’espérance a peur de la nuit de ton rêve !
Car ton front est gonfté d’orages et de deuil,
Car tu n’as plus qu’un Dieu qui t’entraîne : l’orgueil
L’orgueil ! qui, devant toi, superbe créature,
Fait se taire et pâlir la splendide nature !
L’orgueil qui, sur le bord des abîmes glacés,
Te dresse, pâle et grave, et les deux bras croisés.
Jetant sur l’horizon où tout songe en silence
Un regard enivré plein d’un mépris immense !


Après l’avoir ainsi magnifiée, le poète, assurément, l’engage à fléchir cette superbe indomptable, à s’humilier, à pleurer :