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LES ANNÉES DE JEUNESSE

de Lisle, a été conservée et publiée[1]. Elle est, pour l’étude de la période où nous entrons, du plus haut intérêt.

Donc, à la fin de janvier 1838, le jeune homme était de nouveau à Dinan, non plus, cette fois, sous le même toit que son oncle. Il avait en ville sa chambre et sa pension. Il avait l’honneur de dîner à table d’hôte avec les principaux fonctionnaires de l’endroit. Les opinions de ces personnages officiels ne cadraient guère avec les siennes. Avec son caractère intransigeant et hautain, il enrageait de ne pouvoir, lui « enfant rétorquer tout à son aise les notabilités de la ville. Il préparait, ou il était censé préparer son baccalauréat. Les maîtres et les classes ne le gênaient guère. Une tradition locale veut qu’il ait été élève au collège de Dinan. Mais, outre qu’il aurait été peut-être assez difficile d’astreindre à la discipline scolaire ce grand garçon de dix-neuf ans et demi, fort peu disposé à se laisser brider, le collège, à la suite d’une rivalité avec le séminaire où il avait eu le dessous, n’avait pas rouvert ses portes en octobre 1837. Les cours n’y furent repris que le 1er mai 1838. Les lettres de cette époque ne contiennent aucune allusion aux études classiques, aux régents, au terre à terre de ce que les jeunes Dinannais d’aujourd’hui appelleraient le « bachotage ». Elles donnent l’idée d’un genre de vie infiniment plus plaisant et brillant, dans le cadre archaïque de la petite ville bretonne où la destinée avait conduit Leconte de Lisle.

Dinan est bâti sur le bord d’un plateau qui domine de haut la vallée de la Rance, à l’endroit même où la rivière s’élargit pour former peu à peu le magnifique estuaire qui deviendra, en s’évasant toujours, la rade de Saint-Malo. Elle a encore son château féodal, ses anciens remparts, dont on a fait en partie de belles promenades, ses églises gothiques, ses vieilles maisons, penchées l’une vers l’autre des deux côtés des rues étroites qui dévalent jusqu’à la rivière par le faubourg du Jerzual. On y a, du haut de la tour Sainte-Catherine, une vue admirable sur les

  1. Leconte de Lisle, Premières Poésies et Lettres intimes, publiées par B. Guinaudeau, Paris, 1902.