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LES DERNIÈRES ANNÉES



III

Lorsque Leconte de Lisle mourut dans sa soixante-seizième année, le 17 juillet 1894, l’école symboliste triomphait. Mais la gloire du vieux poète n’en fut nullement offusquée ; il était déjà, comme ce Victor Hugo dont il avait recueilli l’héritage académique, « entré vivant dans l’immortalité ». Sa renommée ne s’est pas beaucoup étendue au delà des limites de son pays. Cette poésie plastique et, d’apparence tout au moins, impersonnelle n’a pas été goûtée en Allemagne. En Angleterre, elle ne paraît pas avoir été appréciée non plus à sa juste valeur, en dépit des témoignages d’admiration qui lui ont été accordés par des hommes comme Edmond Gosse et Charles Algernon Swinburne, et de l’influence qu’elle a exercée sur quelques écrivains de langue anglaise, notamment sur une poétesse hindoue, Toru Dutt[1]. En Italie, elle n’est connue, nous affirme un livre récent[2], que des initiés. Il est vrai que l’un d’entre eux la compare aux figures de Michel-Ange. En France même, elle ne sera jamais populaire (ceci d’ailleurs n’aurait pas été pour déplaire à son auteur) mais il est permis de croire qu’elle occupera un haut rang dans l’estime des esprits cultivés et lettrés, de tous ceux qui unissent au sentiment de la grande poésie le goût et le culte de l’art. Et dans cette œuvre fortement conçue, longuement mûrie, soigneusement exécutée, capable de survivre aux variations des modes littéraires et de résister aux efforts du temps, il y a des pages auxquelles ils reviendront toujours, comme à ce qu’il y a de plus profond et de plus parfait à la fois dans la poésie française.

  1. Sur cette question, voir J. H. Whiteley, Étude sur la langue et le style de Leconte de Lisle, Oxford, 1910, p. 183 et 188.
  2. F.-E. Avalle, Leconte de Lisle, studio letterario, Cremona, 1920, p. XI et 180.