coloris incomparable que l’autre a exécutés avec lenteur et avec amour, et on ne retrouve pas l’amère philosophie ni la passion contenue des Poèmes Barbares dans ces Trophées, beaux avant tout, comme le titre l’annonce, d’une beauté décorative et plastique, et qui ne laissent dans l’âme, avec l’éblouissement et la volupté d’éclatantes ou de gracieuses images, que la mélancolie dont s’accompagne inévitablement l’évocation du passé.
Mais ces quelques noms mis à part, qui sont ceux des poètes qu’une particulière amnité de nature a fait entrer plus avant dans la pensée du maître, les autres disciples de Leconte de Lisle ne lui ressemblent guère. C’est la meilleure preuve que la discipline à laquelle ils se sont rangés n’a gêné en rien le libre développement de leur originalité. Et de leurs rangs mêmes sont sortis les novateurs qui, vers 1880, ont suscité une réaction contre l’art parnassien et montré aux jeunes générations des routes ignorées. Verlaine — il suffit pour s’en apercevoir d’ouvrir les Poèmes Saturniens — s’était nourri, en son temps, des Poèmes Antiques. Dans le prologue de son premier recueil, il émettait avec conviction, sur le rôle du poète dans les sociétés primitives et dans la civilisation moderne, des idées qui rappellent trop sensiblement pour ne pas en être directement inspirées celles que Leconte de Lisle avait énoncées dans ses préfaces de 1852 et de 1855. Et dans l’épilogue, il exposait une conception de l’art que l’auteur des articles de 1864 n’aurait pas désavouée, puisque c’était à peu près exactement la sienne
Ce qu’il nous faut à nous, les suprêmes poètes
Qui vénérons les Dieux et qui n’y croyons pas,
À nous dont nul rayon n’auréola les têtes,
Dont nulle Béatrix n’a dirigé les pas,
À nous qui ciselons les mots comme des coupes
Et qui faisons des vers émus très froidement,
À nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant,
Ce qu’il nous faut à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil dompté,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
C’est l’obstination et c’est la volonté !…