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LECONTE DE LISLE

perdre son sang-froid. Il se contenta de bouillir en dedans et, sans doute, de se venger, hors séance, par quelques-uns de ces mots à l’emporte-pièce dont il avait le secret. Il sonda, ce jour-là, toute la vanité des honneurs officiels, et il savoura l’ironie du sort qui l’amenait en grande pompe sous la coupole de l’Institut, pour y entendre, devant l’élite du monde lettré et de la société parisienne, prononcer son éloge par l’homme de France qui l’avait le moins compris.

II

Aussi bien cette gloire académique, qui lui arrivait à l’âge où il entrevoyait le terme d’une vie déjà longue, n’était-elle qu’une gloire de façade et de parade. Le véritable gloire, il l’avait connue beaucoup plus tôt, et personne ne pouvait la lui enlever. C’était le magistère que depuis vingt-cinq ans il exerçait sur les jeunes écrivains. Ses premiers recueils, les Poèmes Antiques, les Poèmes et Poésies, n’avaient point passé inaperçus. Ils avaient engagé de bons juges à en concevoir pour l’auteur les plus belles espérances. Le troisième, les Poésies Barbares de 1862, avait fait de lui un maître. « Quand je lis des vers nouveaux, écrivait Sainte-Beuve en 1865, je me dis presque aussitôt : Ah ! ceci est du Musset ou bien : C’est encore du Lamartine (ce qui est plus rare) ou bien : Ceci rappelle Victor Hugo, dernière manière ; ou : Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de Lisle, ou même du Baudelaire. Ce sont les chefs de file d’aujourd’hui, et ils s’imposent aux nouveaux venus[1] ! » Des quatre, celui qui décidément, entre 1860 et 1870, prit la tête et dirigea le mouvement poétique, ce fut Leconte de Lisle. Théophile Gautier le constatait — sans jalousie, bien qu’il fût son aîné — dans son Rapport sur les progrès de la poésie française de 1830 à 1867 « Retiré dans sa fière indépendance du succès, ou plutôt de la popularité, Leconte de Lisle a réuni autour de lui une école, un cénacle, comme vous voudrez l’appeler, de jeunes poètes, qui l’admirent avec raison, car il a

  1. De la poésie en 1865 (Nouveaux Lundis, 1868, tome X, p. 122).