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LES DERNIÈRES ANNÉES

jure que si les Prussiens pouvaient me tuer, ils me rendraient un suprême service. Je suis si profondément malheureux que je me demande si je ne ferais pas mieux de me brûler la cervelle. Après avoir vécu pauvre, dans la retraite et dans le travail, voici que je n’en recueille que des outrages pour toute récompense. Tout cela est affreux et me jette dans le désespoir… Je suis de garde aux remparts, demain, au Point-du-Jour. C’est là qu’on attend l’assaut. Puissé-je y rester ! » Les événements publics se chargèrent de réduire son chagrin personnel à sa juste mesure ; d’autres préoccupations et d’autres souffrances, matérielles et morales, lui firent oublier celle-là. D’abord, dès les premiers jours d’octobre, la disette de vivres ; puis la menace perpétuelle de l’émeute, qui aurait eu pour résultat, jugeait-il, si elle avait réussi, de mettre à la tête du gouvernement « la lie et l’écume de Paris » ; la perspective, dès novembre, d’une guerre civile succédant à la guerre étrangère ; le bombardement, qui le força à chercher pour les siens un autre asile, les obus prussiens tombant sur sa maison après le siège, la Commune, et de nouvelles privations et de nouvelles angoisses. Leconte de Lisle crut par moments qu’il devenait fou. Le 29 mai, il envoyait au même ami cette lettre désolée :


Je vous écris en pleurant d’horreur et de désespoir. L’infâme bande de scélérats qui tyrannisait et pillait Paris depuis le 18 mars a consommé son œuvre en mettant le feu à presque tous nos monuments… Les bandits ont été vigoureusement culbutés de toutes leurs barricades et sont maintenant acculés à Belleville et à la Villette, où on les écrasera sans doute avant peu mais ils ont laissé derrière eux des bandes de femmes qui allument de nouveaux incendies à tout moment. Elles sont immédiatement fusillées, mais cent autres leur succèdent. Jamais de tels crimes n’avaient été prémédités et commis avec une telle rage de destruction : L’histoire ne rappelle rien de semblable. Il est à désespérer d’être homme et surtout français.


Sous la plume du républicain de 1848, de l’ancien délégué à la propagande révolutionnaire et insurgé de juin, de telles appréciations peuvent surprendre. Mais Leconte de Lisle ne voyait rien de commun entre l’idéal de liberté et d’humanité pour lequel il avait lutté jadis et les odieux attentats dont il était le témoin.


Il ne s’agit plus ici de politique, continuait-il — il s’agit de vols