LECONTE DE LISLE ET LA POÉSIE FRANÇAISE
La vie de Leconte de Lisle fut, pendant sa plus longue période, dure et pénible. Du jour où il eut quitté, à dix-huit ans, son île natale, ce fut comme s’il avait fait vœu de pauvreté. Toute sa jeunesse se passa dans une situation obscure et précaire ; c’est à peine si, aux approches de l’âge mûr, il put se croire un peu plus sûr du lendemain. Il n’aurait tenu qu’à lui, sans doute, de faire de son talent un emploi plus lucratif. Mais avec la rigidité de principes qu’il professait en tout ce qui concernait l’art, il se refusa obstinément à suivre la mode, à écrire pour le vulgaire, à sacrifier quoi que ce soit de son idéal. Il pensait que le devoir de l’artiste est de ne pas se plier au goût du public, mais de lui imposer le sien. Il savait, à tenir une pareille conduite, ce qu’on risque. Il ne s’en effrayait pas. Il s’y était virilement préparé, stoïquement résigné. Quand Louis Ménard, en 1849, avec sa mobilité ordinaire, parlait d’abandonner la poésie, parce que le succès n’arrivait pas assez vite, il lui écrivait « …Personne n’a lu tes vers, si ce n’est moi. Voilà une magnifique raison ! Qui donc a lu les miens ? Toi et de Flotte. Au surplus, qu’est-ce que cela fait à tes vers et aux miens ? Tout est-il perdu, parce que trois ou quatre ans se sont écoulés sans qu’on ait fait attention à nous ? Tu sais bien que tout ceci rentre dans l’ordre commun. Se désespérer d’un fait aussi naturel, aussi normal, aussi universel, c’est se plaindre de ne pouvoir décrocher une étoile du ciel, se frapper la tête contre les murs pour l’unique plaisir de la chose ». Et prêchant d’exemple,