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L’IMPASSIBILITÉ

Le « Souvenir » de Leconte de Lisle, c’est le sonnet qu’il a intitulé le Parfum impérissable. Qu’elle soit « d’argile ou de cristal ou d’or », la fiole où l’on a versé goutte à goutte « l’âme odorante » des roses en reste à jamais parfumée. Quand on la viderait sur le sable du désert, quand on la laverait dans les eaux des fleuves, quand on la briserait en mille pièces, « l’arôme divin » subsisterait toujours.


Puisque par la blessure ouverte de mon cœur
Tu t’écoules de même, ô céleste liqueur,
Inexprimable amour qui m’enflammais pour elle !

Qu’il lui soit pardonné, que mon mal soit béni !
Par delà l’heure humaine et le temps infini
Mon cœur est embaumé d’une odeur immortelle[1] !


Et l’on peut préférer à la grande déclamation romantique la sobre comparaison parnassienne, ou l’éloquence persuasive de Musset à la calme certitude de Leconte de Lisle : il y a là deux arts qui s’affrontent, deux tempéraments d’écrivain, deux époques de notre poésie ; mais il y a dans l’un et l’autre morceau, — et c’est sous des apparences diverses le commun élément de leur beauté — un accent qui vient du cœur.

IV

On le voit, la poésie de Leconte de Lisle n’est pas aussi a impersonnelle » qu’on affecte de le dire ; encore moins est-elle « impassible », si l’on admet surtout, comme je le crois, que la passion la plus sincère et la plus émouvante n’est pas celle qui se répand en cris, en sanglots, en larmes et en paroles, mais celle qui se contient, serre les lèvres, raidit les muscles, et ne se trahit que malgré soi. Et celle-ci a en outre l’avantage de se prêter mieux que celle-là à l’expression mesurée et harmonieuse qui est, selon la tradition antique et classique, la forme parfaite de l’art. C’est à cette

  1. Poèmes Tragiques.