Ployé sous ton fardeau de honte et de misère,
D’un exécrable mal ne vis pas consumé
Arrache de ton sein la mortelle vipère,
Ou tais-toi, lâche, et meurs, meurs d’avoir trop aimé[1] !
Ici, Leconte de Lisle rejoint par le sentiment, et presque par l’expression, le plus passionné de tous les romantiques, cet Alfred de Musset, pour lequel il n’avait pas assez de sarcasmes, qu’il qualifiait de « poète médiocre » et d’ « artiste nul », le Musset de Don Paëz, désabusé par une expérience précoce, qui n’avait pas vingt ans et qui maudissait l’amour :
Amour, fléau du monde, exécrable folie,
Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie,
Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur,
Si jamais, par les yeux d’une femme sans cœur,
Tu peux m’entrer au ventre et m’empoisonner l’âme,
Ainsi que d’une plaie on arrache une lame,
(Plutôt que comme un lâche on me voie en souffrir)
Je t’en arracherai, quand je devrais mourir[2].
Il se rencontre encore avec lui, quand il parle de la trace ineffaçable et précieuse que l’amour laisse dans le cœur qui l’a connu. Une des plus belles pièces de Musset, et des plus profondément senties, est celle où le poète se console de l’abandon et de la trahison par la conscience qu’il a aimé et qu’il a été aimé :
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m’y tiens attaché.
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu’ils ensevelissent.
Je me dis seulement : « À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.
J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle
Et je l’emporte à Dieu[3] ! »