comme une puissance fatale et meurtrière, et il symbolisa cette conception dans un mythe dont il emprunta l’idée à Hésiode. Ékhidna est un « monstre horrible et beau », moitié nymphe aux lèvres roses, moitié reptile cuirassé d’écailles. Elle habite, aux gorges d’Arimos,
Une caverne sombre avec un seuil fleuri.
Le jour, elle se cache dans le fond de son antre ; le soir, elle s’avance
au bord, elle chante, et les hommes, en entendant ses chants, accourent autour d’elle « sous le fouet du désir ». Elle leur promet des
baisers sans fin et des voluptés sans nombre ; elle assure qu’elle les
rendra semblables aux dieux. Tous se ruent à l’envi dans l’étroite
caverne,
Mais ceux qu’elle enchaînait de ses bras amoureux,
Nul n’en dira jamais la foule disparue.
Le monstre aux yeux charmants dévorait leur chair crue,
Et le temps polissait leurs os dans l’antre creux[1].
Comme tous les symboles, celui-ci se laisse tirer en plusieurs sens. Cette Ékhidna aux formes monstrueuses, « qui ne voit, dit M. Vianey, qu’elle personnifie tous les rêves et toutes les chimères et que le poète prédit une fin affreuse à tous les amants de l’idéal, à tous les chercheurs d’énigmes, à tous les aventuriers de la passion, à tous ceux qui demandent à la poésie, à l’art, à la philosophie, à l’amour, de les rendre des dieux ? » Tel qu’il se lit aujourd’hui, le texte peut, en effet, prêter à cette interprétation élargie. Dans la version primitive, il y avait une strophe de plus, qui ne laissait aucun doute sur l’intention de l’auteur et la signification du morceau : « Les siècles, déclarait le poète,
Les siècles n’ont changé ni la folie humaine,
Ni l’antique Ekhidna, ce reptile à l’œil noir ;
Et malgré tant de pleurs et tant de désespoir,
Sa proie est éternelle, et l’amour la lui mène[2],