que cet amoureux passionné ait été l’artiste au front calme et aux mains froides que l’on nous a tant de fois présenté. S’il fallait le défendre d’avoir été impassible, je crois que la cause est entendue. Mais je ne sais si cette défense — bien que je me sois gardé de trahir quoi que ce soit des secrets qu’il avait voulu cacher — aurait agréé à l’homme qui avait, de ses mains, si jalousement relevé ce mur de la vie privée que les poètes de la génération précédente, tous ou presque tous, s’étaient fait, de jeter bas, un jeu et une gloire. Est-il besoin de citer les poèmes fameux où, dans leur ardeur à chanter leurs amours, ils en avaient à demi violé le mystère, et les commentaires, plus fameux encore, où ils l’avaient profané tout à fait ? Faut-il rappeler comment Lamartine — non content d’avoir écrit Le Lac ou Le Golfe de Baïa — avait jugé à propos de mettre au bas de chaque pièce le nom et l’histoire de celle pour qui il l’avait écrite ; comment, dans ce besoin de confidences, ou de confessions, qui depuis un siècle tourmentait nos écrivains, il avait composé ce roman de Graziella et cet autre roman de Raphaël, où tout n’est pas authentique, où la réalité est idéalisée et embellie, où le faux est mêlé au vrai, soit à dessein, soit par la faute d’une mémoire royalement infidèle, mais où il subsistait encore assez de faits positifs et d’allusions précises pour donner pâture à la curiosité de lecteurs qui n’étaient pas toujours guidés par des motifs d’un ordre exclusivement littéraire ? Faut-il rappeler les Nuits d’Alfred de Musset et La Confession d’un enfant du siècle, et les Elle et Lui, et les Lui et Elle, où les griefs réciproques des amants de Venise et de Fontainebleau, leurs rancœurs et leurs rancunes étaient largement exposés aux yeux du public ? Faut-il rappeler qu’un autre, qui pourtant semblait de sa nature plus réservé que ceux-là, dans ces Contemplations qui devaient être « l’histoire d’une âme », avait, pour peindre cette âme « en fleur », inséré tout un livre où il contait un amour dont l’œil le moins exercé n’avait pas de peine à reconnaître, en dépit des précautions prises, qu’il n’avait pas pour objet la mère de ses enfants ? Cet étalage, ou, si l’on me passe le mot, ce « déballage » des sentiments intimes, autant était-il indiscret et indélicat, autant était-il en passe de devenir fâcheux et dangereux pour l’art,
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L’IMPASSIBILITÉ