Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

215
L’IMPASSIBILITÉ

cinquante-deux ans, son service comme les autres, montant sa faction toutes les quarante-huit heures, nuit et jour, sur les remparts ; sans abri, pendant les froids et pluvieux temps d’hiver. Dans les premiers jours de janvier 1871, sentant venir la fin inévitable d’une lutte héroïque, il écrivait la grande pièce intitulée le Sacre de Paris. Il y célébrait en vers magnifiques la ville qui était à la fois pour lui la capitale de l’intelligence et la citadelle de la liberté.


Ville auguste, cerveau du monde, orgueil de l’homme,
               Ruche immortelle des esprits,
Phare allumé dans l’ombre où sont Athène et Rome,
               Arche des nations, Paris !
……………………………………………………
La foudre dans tes yeux et brandissant ta pique,
               Guerrière au visage irrité,
Qui fis jaillir des plis de sa toge civique
               La victoire et la liberté !
……………………………………………………
Vois ! la horde au poil fauve assiège tes murailles !
               Vil troupeau de sang altéré,
De la sainte patrie ils mangent les entrailles,
               Ils bavent sur le sol sacré[1].


Plutôt que d’attendre « la famine ou la honte », il appelait Paris à une lutte désespérée ou bien à un éclatant suicide. « Bondis hors de tes remparts », lui criait-il, ou bien « allume le bûcher inoubliable », ensevelis-toi sous tes ruines fumantes, en laissant à l’univers l’éblouissement de ton génie et l’exemple de ta mort !

II

Regrets de la jeunesse, regrets du pays natal, amour de la vie, amour de la beauté, amour de la liberté, amour de la patrie, tous ces amours, les plus nobles ou les plus profonds que puisse nourrir l’âme humaine, ainsi donc Leconte de Lisle les a tous éprouvés et chantés. Aurait-il ignoré l’amour par excellence, l’amour que tous les poètes ont célébré ? Celui-là a tenu trop de place dans

  1. Poèmes tragiques : Le sacre de Paris.