sans tristesse, il est atténué dans une certaine mesure par le changement que subissent les choses autour de nous et en même temps que nous. Les images au milieu desquelles nous vivons nous demeurent contemporaines ; nous voyons toujours à notre hauteur le paysage qui borde les rives du fleuve sur lequel nous glissons insensiblement ; il faut le hasard d’un retour aux lieux où nous fûmes jeunes, il faut le rappel inattendu d’un souvenir de notre enfance, pour que nous regardions en arrière et que brusquement nous mesurions avec stupeur la fuite rapide du temps. De telles pensées, pour la plupart d’entre nous, sont intermittentes ; elles s’imposaient constamment à l’esprit de Leconte de Lisle. Ses souvenirs de Bourbon, toujours présents à sa mémoire, étaient ce point fixe, ce point de repère qu’il voyait briller au fond de ses années, toujours aussi lumineux, mais toujours plus reculé et plus lointain
Ô jeunesse sacrée, irréparable joie,
Félicité perdue, où l’âme en pleurs se noie !
Ô lumière, fraîcheur des monts calmes et bleus,
Des coteaux et des bois feuillages onduleux,
Aube d’un jour divin, chant des mers fortunées,
Florissante vigueur de mes jeunes années[1] !…
Dans ce temps de sa jeunesse, tout pour lui était doux, riant, heureux, car il portait en son cœur une source intarissable de vie, d’espérance et de joie. Même les impressions de tristesse qui lui venaient des choses, en passant à travers son âme, se tournaient en exaltation et en encouragements
La nuit terrible avec sa formidable bouche
Disait : — La vie est douce, ouvre ses portes closes !
Et le vent me disait de son râle farouche
— Adore ! absorbe-toi dans la beauté des choses[2] !
Tous ses beaux rêves de jeune homme, aujourd’hui que sont-ils devenus ? Ils sont au fond de ce cœur, calme en apparence,