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LECONTE DE LISLE

sentiments essentiels, venus du fond même de sa nature, que sa poésie, personnelle ou impersonnelle, exprime, si vraiment ce n’était là besogne absolument inutile, et si lui-même ne nous les avait, à maintes reprises, énoncés de la façon la plus claire et la plus émouvante. À côté de cette partie de son œuvre où sa personne n’apparaît pas, il y en a en effet une autre où elle se montre ; à côté de la partie épique ou dramatique, il y a la partie qu’on ne peut pas nommer autrement que lyrique, si, dans notre langage actuel, dans nos mœurs modernes où la poésie ne se chante plus, où le poète n’a plus de lyre, lyrisme peut signifier autre chose qu’expression vibrante et passionnée des sentiments individuels.

Ces sentiments, quels sont-ils ? Il en est que nous connaissons déjà, car on ne saurait analyser l’œuvre du poète, ni en marquer la tendance philosophique, ni en caractériser l’art sans les rencontrer sur son chemin. Le plus profond de tous peut-être, et celui qui est à la base de la vie sentimentale de Leconte de Lisle, c’est cette nostalgie du pays natal que ses vers ont tant de fois exhalée, au cours de plus d’un demi-siècle d’exil, avec une mélancolie toujours aussi pénétrante, pour ne pas dire avec une douleur aussi vive qu’au premier jour. Nuits merveilleuses dorées d’étoiles, midis resplendissants de lumière, couchants et aurores,


Celui qui savoura vos ivresses sacrées
Y replonge à jamais en ses rêves sans fin[1].


Il en a emporté sous sa paupière les visions indélébiles c’est à leur hantise qu’il a dû l’habitude de se détourner du présent, de chercher en arrière, dans son passé et dans le passé de l’humanité, la beauté et le bonheur. Ce regret du pays natal rendait pour lui plus âprement douloureux le regret de sa jeunesse enfuie pour toujours. Certes, nous sentons tous, à partir d’un certain âge, que chaque instant qui passe nous éloigne un peu plus des heures brillantes et fortunées de notre vie, des heures qui ne reviendront pas. Mais ce sentiment, auquel nous ne pouvons nous abandonner

  1. Derniers Poèmes : Les Yeux d’or de la Nuit.