les prêtres. L’âme du cercle, le chef de la troupe, c’était Leconte de Lisle. Le rôle allait à son caractère. De son ascendance aristocratique il tenait cette hauteur un peu dédaigneuse et intimidante qu’il conserva toute sa vie. Il était de ceux qui sont nés pour commander, et non pour obéir. Cet empire qu’il exerçait naturellement sur ses compagons d’âge, il le mit au service des idées libérales et humanitaires qu’il avait puisées dans la lecture des philosophes du xviie siècle. Il les avait trouvées dans les livres ; il les avait peut-être entendues tomber des lèvres de son père. M. Leconte de Lisle, suivant des témoignages un peu vagues, mais concordants, était, comme la plupart des bourgeois français de son temps, très probablement comme son propre père, l’apothicaire de Dinan qui composait des vers pour la fête de la Fédération, grand admirateur de Voltaire et de Jean-Jacques. Ajoutez qu’il était médecin, et qu’au début du xxe siècle, les médecins étaient ordinairement des incrédules. C’est vraisemblablement dans la bibliothèque de la maison paternelle que le jeune Charles avait trouvé l’ouvrage de l’abbé Raynal dont il avait extrait, pour le copier sur son cahier de poésies, la citation suivante : « La raison, dit Confucius, est une émanation de la divinité la loi suprême n’est que l’accord de la nature et de la raison ; toute religion qui contredit ces deux guides de la vie humaine est une religion infâme. » Et, au-dessous, il avait ajouté : « Telle est la religion dégénérée du Christ. » Voilà pour les prêtres. Quant aux rois, ils n’étaient pas mieux traités. Dans une lettre à Adamolle, de 1837, les Espagnols, qui « s’entremangent pour deux rois », sont qualifiés d’ « insensés » un pays qui se révolte contre sa reine est un pays « qui commence à bien pensera et Louis-Philippe est flétri très sincèrement par Leconte de Lisle comme le plus despotique et le plus sanguinaire des tyrans. J’insiste sur ces opinions de jeunesse, parce que, contrairement à ce qui se passe chez la plupart des hommes, elles ne varieront pas. Il se pourra — et nous le verrons plus tard — qu’en traversant de certains milieux, elles se colorent de nuances superficielles qui peuvent, à l’observateur inattentif, donner l’illusion du changement. Le fond des idées de Leconte de Lisle est toujours resté identique à lui-même.
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LECONTE DE LISLE