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LECONTE DE LISLE

Des troupeaux étaient couchés à l’entour, sur le penchant de l’Aride.

En ce temps-là, il était coutume aux pasteurs d’Hénochia, après avoir ramené leurs troupeaux aux portes de la ville, de s’arrêter pour les compter. Alors les chèvres fatiguées se couchent sur les bords du chemin leurs mamelles pleines traînent sur l’herbe ; les chevreaux se lèvent debout sur les pierres de l’abreuvoir, les autres se frottent contre un cèdre.

Les onagres, les chameaux, les dromadaires se roulent ou se reposent sur les sables que le soleil ne brûle pas et, au signal du pasteur, les troupeaux rentrent dans la ville, vers une étable pleine de paille, pour donner leur lait, à l’aurore, aux Colossiens.

Or donc, les pasteurs ayant fait boire leurs chameaux, leurs onagres, leurs dromadaires, leurs chèvres, leurs brebis, rentraient lentement vers les portes.

Et les derniers mugissements des troupeaux allaient se perdre du côté des régions de la solitude.

Ils passèrent ainsi longtemps, et déjà le soleil avait disparu de la terre.

Et ses rayons expirants embrasaient les murailles de la ville de Kaïn, comme des murailles de feu.

Et les jeunes filles sortirent d’Hénochia ;

Suivant la coutume des femmes de leur peuple, elles étaient couvertes d’une robe et d’un voile de lin blancs.

Elles remplirent les urnes et les vases qu’elles portaient sur l’épaule, et les plaçant à terre, elles se reposèrent sous un palmier qui s’élevait près du puits.


Il y a dans cette description, assurément, de l’imagination, de la couleur, du pittoresque ; mais elle est diffuse, traînante, elle se répète, elle est mal composée et mal équilibrée. Des trois parties essentielles dont elle consiste, rentrée des troupeaux, rentrée des hommes, sortie des femmes pour aller puiser de l’eau à la fontaine, les deux premières sont, par rapport à la troisième, l’une trop longue, l’autre étriquée ; elles se suivent et ne tiennent pas l’une à l’autre, faute d’un point de vue d’où elles s’étagent et se coordonnent. Leconte de Lisle a élagué ce qui était superflu, resserré ce qui était prolixe, ajouté ce qui manquait, lié ce qui était décousu et mis le tout en perspective. Et voici ce que de la page médiocre de tout à l’heure, il a tiré :


Thogorma dans ses yeux vit monter des murailles
De fer, d’où s’enroulaient des spirales de tours
Et de palais cerclés d’airain sur des blocs lourds,
Ruche énorme, géhenne aux lugubres entrailles,
Où s’engouffraient les Forts, princes des anciens jours.

Ils s’en venaient de la montagne et de la plaine,
Du fond des sombres bois et du désert sans fin,