prendre tout le charme que j’éprouve à recevoir quelque souvenir de toi quel plaisir je ressens en tâchant d’y répondre.
Oh ! jamais, non, jamais aucun autre ne te remplacera dans mon cœur, jamais rien n’altérera notre chère intimité ! Nous sommes séparés l’un de l’autre, peut-être pour toujours… Ah ! que du moins le souvenir, seul bien qui nous reste, emplisse, en quelque sorte, l’énorme espace qui nous désunit, adoucisse un peu l’amertume des regrets et des larmes de l’absence ! Mais cet espace lui-même, qu’est-il ? Rien, non, rien ! Je te vois, je te parle, je te serre d’ici dans mes bras ! ô mon ami si cher, s’il ne faut pour nous rejoindre un jour que surmonter des obstacles proportionnés aux forces humaines, ah ! sois-en sûr, tu me reverras, je te reverrai aussi, et nous oublierons alors, dans notre joie, et nos maux et nos regrets passés !…
Cette exaltation de sentiment et de langage, ce lyrisme à la Rousseau, paraît avoir été un caractère commun à la plupart des jeunes créoles qui furent, aux environs de 1836, les compagnons d’âge et les amis de Leconte de Lisle. Pendant la semaine, tous ces fils de planteurs, dispersés dans les habitations des Hauts, y menaient la vie des gens de leur caste oisiveté entrecoupée par accès d’activité violente, parties de chasse, longues flâneries sous la varangue de la maison paternelle, lectures solitaires, chevauchées à travers champs. Le dimanche, ils descendaient à la ville ; ils s’y retrouvaient entre camarades ; ils allaient — c’est Leconte de Lisle qui le dit — « fumer le poétique cigare au bord de la mer ». Ils s’asseyaient, le soir, sur la plage de sable noirâtre,
Au bruit pensif du flot que la vague soulève,
et, tandis que de leurs « lèvres émues s’exhalaient les « épais tourbillons de fumée,
Vapeur exaltatrice à leurs cerveaux ardents,
ils causaient. Ils parlaient d’avenir, de gloire et de poésie. Ils parlaient de politique et de religion. Et, comme la société au milieu de laquelle ils vivaient était conservatrice et traditionaliste, par cet esprit de contradiction qui est, chez les tout jeunes gens, manifestation d’indépendance, ils étaient démocrates et libres penseurs. Ils tenaient « les sentiments républicains et philosophiques » pour « les plus vraies comme les plus nobles des opinions humaines ». Ils détestaient les rois et abhorraient