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LECONTE DE LISLE


Puissiez-vous, céleste trésor
D’amour, de joie, et de délire,
Modérant votre heureux essor,
Parfois vous poser sur ma lyre[1] !


Sans doute trouva-t-il que dans cet appel à l’inspiration antique, il y avait encore un tour d’un lyrisme trop personnel. Dans la version définitive, c’est à la moderne humanité, au sein de laquelle il se confond et se perd lui-même, qu’il supplie ces brises fortunées d’apporter le parfum des âges évanouis


Vous qui flottiez jadis aux lèvres du génie,
Brises des mois divins, visitez-nous encor
Versez-nous en passant avec vos urnes d’or
Le repos et l’amour, la grâce et l’harmonie[2] !



II

Préparation minutieuse, fermeté de la conception, probité de l’exécution, gravité un peu austère, recherche d’une forme parfaite, ce sont là autant de caractères de l’art de Leconte de Lisle. Ils suffiraient déjà à distinguer cet art de l’art romantique dont il est issu et qu’il continue sans lui ressembler, et à le rapprocher de l’art classique, avec lequel, toutes modernes que soient les idées et les sentiments de l’auteur, il a, par l’intermédiaire d’André Chénier, une incontestable parenté. Mais ce ne sont encore là que ses caractères extérieurs. Si l’on veut saisir son originalité à la source même et poser la loi qui le régit, il faut la chercher, non pas dans des considérations d’histoire littéraire ou des déterminations d’influences accidentelles, mais dans l’organisation du poète et dans la manière même dont le monde se révèle à lui. J’ai signalé à plusieurs reprises le tour nostalgique que prend presque invariablement la poésie de Leconte de Lisle. Cette inclination à revenir sans cesse vers le passé, à s’y attacher et à s’y complaire, tient à bien des causes, dont l’une — et ce n’est peut-

  1. L’Idylle antique, dans La Phalange, tome III, 1846.
  2. Poèmes Antiques : Les Éolides