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CHAPITRE IX


L’ART DE LECONTE DE LISLE



I



Leconte de Lisle a eu — il l’a proclamé assez haut — la religion de l’Art. Mais il ne s’est pas contenté de la professer. Il l’a, au cours de sa longue existence, très exactement pratiquée. Depuis le temps lointain où il discutait passionnément, avec ses camarades de Bourbon, sur le style qui convient à l’élégie et sur les mérites ou les faiblesses des poésies de Dayot, jusqu’aux extrêmes années de sa vieillesse, quand il jouissait dans un repos olympien d’une gloire tardive, il a vécu non pas de l’Art — l’Art, hélas ! ne lui a jamais donné de quoi vivre — mais par l’Art et pour l’Art. Jusque dans son aspect extérieur il portait le caractère d’un homme occupé de pensées au-dessus du vulgaire et voué, pour parler le langage de 1840, à une tâche sublime. « L’Art, a-t-on dit, était pour lui un sacerdoce. Il avait l’air d’un prêtre[1]. » Il en avait quelques-unes des vertus. La plus apparente était la gravité. Non qu’il eût rien de gourmé ni de pédantesque. Au témoignage de ses familiers, l’homme, dans la vie ordinaire, était gai, spirituel, mordant, capable de plaisanter et de rire. Mais quand il faisait œuvre de poète — j’allais dire quand il officiait — il reprenait tout son sérieux. Dans ses vers, il ne se déride et ne se détend presque jamais. À peine sa poésie se permet-elle quelques sourires. Ces sourires, ce sont, par exemple, les Chansons écossaises qu’il a imitées de Burns, les Études latines où il a pris

  1. Jules Breton. Souvenirs d’un peintre paysan (Revue Bleue du 5 octobre 1895).