moral. Il donne de son échec une raison plus plausible quand il voit dans ce poète inégal, essoufflé et ronflant, chez qui des éclairs de génie ne peuvent compenser les défaillances trop fréquentes de l’inspiration et de la forme, un artiste incomplet, qui mit son idéal très haut, trop haut pour lui, et qui n’eut pas la chance, ou la force d’y atteindre.
À Vigny, Leconte de Lisle n’a aucun motif de ménager son admiration. Celui-là lui est sympathique pour n’être pas populaire, pour être même — c’était rigoureusement vrai en 1864 — « inconnu au plus grand nombre » plus sympathique encore par ses vertus d’homme de lettres : « l’élévation, la candeur généreuse, la dignité de soi-même et le dévouement religieux à l’art. » Et puis, sans le dire très haut, pas aussi haut du moins qu’on s’y attendrait, Leconte de Lisle, jusqu’à un certain point se reconnaît en lui. En ce poète auquel il manque tant de choses, qui n’a pas eu le mouvement et la couleur, « ni même la certitude constante de la langue, la solidité du vers et la précision rigoureuse de l’image », mais qui, en 1822, écrivait Moïse, il découvre « un précurseur déjà admirable de la Renaissance moderne », entendez de la poésie selon le cœur de Leconte de Lisle. Si Vigny n’a pas eu « le sens intuitif du caractère particulier des diverses antiquités », s’il ne lui a pas été donné « de dégager nettement l’artiste de l’homme et de se pénétrer à son gré des sentiments et des passions propres aux époques et aux races disparues », il a écrit quelques poèmes superbes, non seulement Moïse, ou Éloa, ou Le Déluge, mais La Mort du Loup et La Colère de Samson. « Son nom et son œuvre n’auront point de retentissement vulgaire ; ils survivront parmi cette élite future d’esprits fraternels qui auraient aimé l’homme et qui consacreront la gloire sans tache de l’artiste. »
Mais, pour Leconte de Lisle, le poète par excellence, celui qui offre à son admiration « le spectacle d’un esprit très mâle et très individuel, se dégageant de haute lutte et par bonds des entraves communes », et par ses défauts aussi bien que par ses qualités commandant une sorte de vénération, c’est Victor Hugo, tel qu’il apparaît des Orientales à La Légende des Siècles. Il « s’impose