Je l’affirme résolument : la marque d’une infériorité intellectuelle caractérisée est d’exciter d’immédiates et unanimes sympathies. » La remarque, pour venir d’un homme qui a eu à percer le mal que nous savons, n’est pas sans fondement. N’oublions pas toutefois qu’il peut y avoir et qu’il y a eu d’illustres exceptions à la règle, et qu’au surplus, quand Lamartine débutait par un coup de maître, il avait derrière lui tout un passé de réflexion et d’étude, de projets avortés, d’essais manqués et mis virilement au rebut, douze ou quinze années d’apprentissage littéraire, autant, à bien compter, que Leconte de Lisle, avec cette différence qu’il eut l’heureuse fortune d’en recueillir du premier coup tout le fruit. Mais, ce qui est plus grave, le poète des Méditations n’est pas suffisamment artiste : son vers est mou, sa pensée vague, sa sensibilité trop facile. Et puis, après lui et à sa suite, il y a la queue de l’école élégiaque et sentimentale, tous ceux « que M. de Lamartine laissera derrière lui comme une expiation, cette multitude d’esprits avortés, loquaces et stériles, qu’il a engendrés et conçus, pleureurs selon la formule, cervelles liquéfiées et cœurs de pierre, misérable famille d’un père illustre ». C’en est assez pour justifier toutes les rigueurs du critique, qui résume son opinion sur son illustre confrère en le qualifiant dédaigneusement d’amateur, « le plus extraordinaire des amateurs poétiques du xixe siècle », mais enfin un amateur.
Avec Auguste Barbier, Leconte de Lisle a l’impression d’entrer dans le monde des vrais poètes. Un goût naturel pour l’intransigeance des sentiments et l’énergie du langage l’entraîne vers l’auteur des Iambes ; mais il découvre, à son regret, « sous la violence, et la crudité des termes, un esprit timide et un caractère indécis. » Comme il le dit spirituellement, ce virulent satirique est, au fond, « un homme de concorde et de paix, revêtu de la Peau de Némée ». « Il est vrai, s’empresse-t-il d’ajouter, que les poils du lion l’enveloppent souvent de telle sorte qu’on s’y trompe. Personne ne s’y trompe plus aujourd’hui, et L’Idole et La Curée n’ont plus guère d’action que sur des imaginations très novices. Si Barbier est resté inférieur à lui-même, c’est, selon Leconte de Lisle, qu’il était, trop préoccupé de l’enseignement