dire auquel il s’attaque — est Béranger. On serait un peu surpris de voir le chansonnier si durement traité par un écrivain auquel, en des jours mauvais, il s’était employé à rendre service, si Leconte de Lisle n’avait pris soin de se justifier d’avance par un distinguo analogue à celui qui permettait à Boileau d’exercer sans remords sa verve satirique aux dépens de Chapelain « L’homme était bon, généreux, honnête. Il est mort plein de jours, en possession d’une immense sympathie publique, et je ne veux, certes, contester aucune de ses vertus domestiques mais je nie radicalement le poète… » Celui qu’on présentait alors — sa réputation a bien baissé depuis — comme « un grand poète populaire et national » en qui s’incarnait l’âme de la France, n’est pour lui qu’un « esprit médiocre, rusé sans finesse, malicieux sans verve et sans gaïté, sous le couvert d’une sorte de bonhomie sentimentale, et mené en laisse par ce bon sens bourgeois qui l’a toujours guidé, dans le cours d’une longue vie, avec l’infaillibilité de l’instinct », dénué de tout savoir, hostile à la grande poésie française aussi bien qu’étrangère, « manquant de souffle et d’élan, parlant une langue sénile, terne et prosaïque, se servant avec une incertitude pénible d’un instrument imparfait. » Le jugement est sévère, mais il est en grande partie justifié : si l’auteur du Vieux Sergent et des Souvenirs du Peuple n’est pas tout à fait le faux bonhomme et le plat rimeur que nous peint Leconte de Lisle, si même il est en son genre un artiste, on reconnaîtra sans difficulté qu’il n’est pas un grand artiste, et que les côtés médiocres ou vulgaires de sontalent ont largement contribué à la vogue extraordinaire et à la popularité incroyable dont il a joui de son vivant.
Lamartine est traité avec moins de désinvolture. Entre Béranger et lui, il y a la distance « du néant à la vie ». Il a eu du génie. Mais il a eu aussi le tort d’arriver à la gloire « sans lutte, sans fatigue, par des voies largement ouvertes ». C’est un fort mauvais signe. « Il n’est pas bon de plaire ainsi à une foule quelconque » — la foule, en l’occurrence, étant le public mondain. « Un vrai poète n’est jamais l’écho systématique ou involontaire de l’esprit public. C’est aux autres hommes à sentir et à penser comme lui…