Ta bouche, mon aurore ?
Sais-tu que le baiser sur tes lèvres cueilli
Est un feu délirant, le seul rayon ami
Dont mon âme se dore ?
Sais-tu bien que je tremble en écoutant ta voix
Que la fièvre me prend lorsque je t’aperçois
Et gracieuse et belle ?
Sais-tu qu’en te touchant je ne sens plus ma main
Que mon cœur palpitant s’échappe de mon sein,
Semblant dire : « C’est elle » ?
Le sais-tu ?… Non, sans doute. Oh ! tu n’y penses pas…
Et moi je suis contraint, au seul bruit de tes pas,
De m’appuyer bien vite,
Car ma tête est en feu, mon front est enivré,
Mes pieds semblent fléchir, et mon regard troublé
Et te cherche et t’évite.
Ces vers sont-ils jamais passés sous les yeux de celle à qui ils étaient adressés ? Cela n’est guère probable. Ils ne furent lus sans doute que de l’ami privilégié que Leconte de Lisle avait choisi pour être le confident à la fois de sa passion et de son talent. Cet ami, Adamolle, était le fils d’un riche planteur des Hauts de Saint-Paul. Les deux jeunes gens s’étaient liés l’un à l’autre d’une de ces amitiés d’adolescents qui ont de l’amour l’emportement, la jalousie et les orages. À peine Leconte de Lisle fut-il parti pour la France, Adamolle eut peur que son ami ne t’oubliât. Il lui écrivit une lettre émue, désolée, inquiète, que nous n’avons pas, mais que nous pouvons imaginer facilement la lettre de celui des deux pigeons qui reste au colombier. À cette lettre, voici ce que Leconte de Lisle, tout bouleversé, répondit :
… Mon ami, mon frère — laisse-moi te nommer ainsi — je te crois trop persuadé de mon affection pour qu’il me soit nécessaire de te répéter que jamais elle ne s’éteindra. Ne viens donc plus me causer une peine inutile en paraissant croire que de nouvelles connaissances pourraient, une seconde, me faire oublier mes vrais, mes seuls amis ; nous nous comprenons, ô mon ami ; entre nous, c’est à la vie, à la mort ! Ah ! crois-tu donc à cette amitié d’une heure, à ce sentiment bâtard que les hommes qualifient trop souvent d’un nom sacré ? Oh non, tu n’y crois pas, n’est-ce pas ?… Tu sais trop bien que, pour la véritable amitié, il faut l’union intime du cœur et de l’âme ; mon ami, nous sommes donc nés l’un pour l’autre, car nos cœurs n’en font qu’un, et nos âmes sont sœurs.
Oh ! mon cher Adamolle, combien je regrette que notre langue ne puisse rendre l’ardeur de mon amitié !… Ah ! écris-moi souvent… Tu dois com-