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LES IDÉES LITTÉRAIRES

force et de leur beauté, exciteront toujours un intérêt plus profond et plus durable que le tableau daguerréotypé des mœurs et des faits contemporains. »

Par ces deux préfaces, Leconte de Lisle marquait, de la façon la plus nette, sa position par rapport à la littérature de son temps. Le romantisme avait, par une action déjà séculaire, produit deux principaux effets, qui n’étaient pas liés nécessairement l’un à l’autre, qui même dans une certaine mesure étaient contradictoires : il avait exalté jusqu’au paroxysme les sensibilités individuelles ; il avait, après une longue période de sécheresse et de prosaïsme, rafraîchi et revivifié le sentiment de l’art. De l’école déclinante et déjà condamnée, Leconte de Lisle répudiait l’héritage sentimental, effervescence des passions, manie des confidences, étalage du moi, lyrisme intempérant. Il n’en acceptait que la tradition d’art — et cela sous bénéfice d’inventaire : il voulait qu’on assainît la langue poétique, et qu’on demandât à la méditation des grandes œuvres de l’antiquité le secret de cette forme pure et parfaite, grâce à laquelle elles se sont conservées et transmises jusqu’à nous. Revendications en somme fort modérées et raisonnables, en dépit du tour paradoxal qu’elles prenaient volontiers sous sa plume. Et le ton sur lequel elles étaient présentées n’avait rien d’outrecuidant. C’était le ton d’un débutant qui a conscience de sa valeur parce qu’il l’a longuement éprouvée, qui a confiance dans ses idées, parce qu’il les a soigneusement mûries, et qui compte, pour les imposer, sur leur vérité même. Quand, dix ou douze ans plus tard, en 1864, il reprit la plume du critique, la situation était changée. Il venait de publier ses Poésies Barbares, qui consacraient son talent et en révélaient un aspect nouveau. Il s’était fait sa place dans le monde littéraire ; il y avait noué des relations et des amitiés il avait conquis de haute lutte l’estime de ses pairs. Les jeunes poètes, en quête d’un guide, se tournaient vers lui. Il n’était pas le Maître — ce titre étant réservé à Victor Hugo, alors confiné dans son exil de Guernesey — mais il était un maître. Il le savait : on s’en aperçoit aux formes tranchantes de son style, si tranchantes qu’il se croit obligé, au moment d’entrer en matière,