la conception littéraire qu’ils réalisent, c’est cette conception même qu’il se propose de justifier par l’examen des conditions présentes de la société et de la littérature, et par une vue générale de l’évolution de l’humanité. Voici, dans leur enchaînement logique, et résumés aussi fidèlement que possible, les principaux arguments qu’il fait valoir.
« La poésie moderne — entendez la poésie intime et lyrique, la poésie romantique — reflet confus de la personnalité fougueuse de Byron, de la religiosité factice et sensuelle de Chateaubriand, de la rêverie mystique d’outre-Rhin et du réalisme des Lakistes » est au bout de sa course. Elle a lassé la patience par ses « divagations » et son « autotâtrie » : on n’en veut plus. En face d’elle s’est dressée récemment une autre école, « restauratrice un peu niaise du bon sens public ». C’est l’école qui reconnaît pour chef François Ponsard. À celle-ci, Lecontede Lisle ne daigne même pas faire l’honneur d’en discuter les théories : elle « n’est pas née viable » et « ne répond à rien ». Ainsi le champ est libre pour une poésie nouvelle. Mais, cette poésie, où cherchera-t-elle son inspiration et ses lois ? Abandonnera-t-elle le lyrisme pour l’épopée ? Mais l’épopée n’est possible que dans une société naïve et jeune, où le poète est, en même temps qu’un artiste, le guide et l’historien des nations. Dans les temps où nous vivons, ces emplois sont dévolus à d’autres. La poésie n’a plus pour mission de conduire les peuples, d’enfanter les actions héroïques, d’inspirer les vertus sociales, d’enseigner l’homme, ni même de consacrer la mémoire des événements qu’elle n’a ni prévus ni amenés. L’épopée moderne est impossible. Le seul moyen de salut, c’est de tourner résolument le dos au présent, de se plonger dans l’étude du passé le plus lointain, d’aller chercher la matière épique là où elle abonde, aux origines même de l’humanité.
Ô poètes…, — s’écrie le poète — instituteurs du genre humain, voici que votre disciple en sait instinctivement plus que vous. Il souffre d’un travail intérieur dont vous ne le guérirez pas, d’un désir religieux que vous n’exaucerez pas, si vous ne le guidez dans la recherche de ses traditions idéales. Aussi, êtes-vous destinés, sous peine d’effacement définitif, à vous isoler d’heure en heure du monde de l’action pour vous réfugier dans la vie contemplative et savante, comme en un sanctuaire de repos et de purification…