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LECONTE DE LISLE

l’art. Telle est la thèse que Leconte de Lisle se proposait de soutenir dans un « poème spiritualiste et artistique », dont il exposa le plan à Rouffet, en lui demandant sa collaboration. « C’est, disait-il, un sujet immense et magnifique. » Si magnifique et si immense en effet, que l’exécution resta singulièrement au-dessous. Le « spiritualisme » qu’il comptait mettre dans son poème, c’était sans doute le spiritualisme à la façon de George Sand, qui était, comme nous le savons, sa grande admiration de cette époque c’est chez elle aussi qu’il se fournissait de théories esthétiques. On s’en aperçoit en parcourant ces Sept Cordes de la Lyre, qui furent, de son propre aveu, un des livres auquel il dut le plus, et dont il est indispensable, pour cette raison, de dire quelques mots.

Cet ouvrage, bien oublié aujourd’hui, est un drame philosophique en cinq actes, dont le Faust de Gœthe a fourni l’affabulation, Pierre Leroux les idées et George Sand le lyrisme, selon son ordinaire, vertigineux. La combinaison donne une allégorie dont le sens, en gros, est assez clair. Albertus personnifie la raison Hélène, le sentiment, ou l’intuition poétique les sept cordes de la lyre, ce sont les grandes aspirations de l’âme humaine, élan vers l’infini, amour de la nature, amour de l’humanité, amour de la vie. Et la raison doit s’unir à l’intuition, l’intelligence et le sentiment doivent se pénétrer l’un l’autre, et les sept cordes vibrer à la fois, pour produire l’harmonie qui est l’âme humaine, qui est la beauté, qui est Dieu. Mais, dans le détail, que d’obscurités ! Il y a de tout dans ces deux cents pages : de la métaphysique et de la poésie, de la sociologie et de la politique entre temps, quelques dissertations sur la beauté et sur l’art dont Leconte de Lisle n’a pas manqué de faire son profit. Albertus, qui est philosophe et même professeur de philosophie, discute avec ses élèves sur la nature de la poésie. Il ne voit en elle « qu’une forme claire et brillante, destinée à vulgariser les austères vérités de la science, de la morale, de la foi, de la philosophie, en un mot. » Mais ses disciples qui, s’ils sont moins instruits, sont beaucoup plus intelligents que leur maître, lui expliquent que le poète a sa fonction propre, et une fonction supérieure, au sein de