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LES IDÉES LITTÉRAIRES

grossier, peu digne de l’auteur des Feuilles d’Automne, il y a dans cette pièce de magnifiques morceaux poétiques. » Il en donne comme spécimen la fin du célèbre monologue, et conclut : « Voilà Ruy Blas, mon cher Rouffet. Du génie, toujours. Mais peu ou point de règles. » Il est curieux de noter, dans un cas comme dans l’autre, ce souci, surprenant à l’époque et chez un si jeune homme, de la correction et de la régularité. Celui-là, certes, n’est pas un adepte de la « littérature facile » et il développe à sa façon la maxime de La Bruyère, « qu’il faut plus que de l’esprit pour être auteur ».

L’enseignement que donnaient à Rennes les professeurs de la Faculté des Lettres ne pouvait que contribuer, en élargissant le cercle de ses connaissances et de ses lectures, en le familiarisant avec les grandes œuvres de la littérature universelle, à le rendre plus difficile encore. Entre 1838 et 1843, les auditeurs qui fréquentaient les cours universitaires entendirent parler non seulement de nos classiques, mais des auteurs du Moyen Âge et du xvie siècle ; non seulement des écrivains français, mais des grands écrivains étrangers, de Shakespeare et de Dante. Fait intéressant à retenir, presque toute la poésie grecque y fut passée en revue, la tragédie, la comédie, enfin l’épopée depuis Homère et Hésiode jusqu’à Apollonius de Rhodes, jusqu’aux derniers représentants de l’hellénisme, Nonnus, Tryphiodore, Coluthus, Musée, et jusqu’au Byzantin Tzetzès. On a des raisons de croire que le futur auteur des Poèmes Antiques employa une bonne partie des longs loisirs que lui laissait la préparation buissonnière de la licence en droit à lire la plupart de ces œuvres, sinon dans le texte, tout au moins dans un gros volume de la collection du Panthéon littéraire, paru en 1839, qui lui en offrait, sous le titre de Petits poèmes grecs, une traduction rajeunie et colorée. C’est là qu’il fit connaissance, notamment, avec les poèmes orphiques, avec Théocrite et avec Anacréon. Mais la prose d’Ernest Falconnet et de ses collaborateurs n’aurait pas réussi à lui donner le sentiment de la beauté antique, si, dans le même temps, il n’avait assidûment pratiqué l’œuvre d’André Chénier.