et à chercher par la réflexion et par l’étude les moyens d’y parvenir. Avoir le sentiment de l’art, c’est avant tout être difficile pour les autres et pour soi-même. Cette disposition est contemporaine, chez Leconte de Lisle, de ses tout premiers essais. Elle est d’autant plus remarquable que, dans le milieu où s’ébaucha son éducation littéraire, elle était moins répandue. Les amateurs de poésie, à Bourbon, se satisfaisaient, on l’a vu, à peu de frais, avec les vers de Parny, ou les vers de Baour-Lormian. Ceux qui avaient le goût de rimer ne croyaient pas qu’on pût imaginer quelque chose de mieux. Le poète de l’île, vers 1835, c’était un certain Eugène Dayot, d’une dizaine d’années plus âgé que Leconte de Lisle, auteur d’élégies à la façon de Millevoye, « où il y a, nous dit-on, de beaux vers et une assez grande puissance de sentiment[1] ». C’est sur lui que s’exerça tout d’abord la faculté critique de son jeune émule. Une des premières lettres écrites par Leconte de Lisle à Adamolle, après son arrivée en Bretagne, contient une appréciation détaillée d’une poésie-de Dayot. Le morceau fait suite, évidemment, à des propos du même genre échangés entre le jeune homme et son ami à Bourbon, et nous apporte un écho des conversations littéraires qui se tenaient, le dimanche soir, sur la grève de Saint-Paul.
J’ai lu, mon ami, avec la plus grande attention, la petite élégie de Dayot. C’est bien faible, ou plutôt ce n’est rien. Plusieurs personnes ont été de mon avis. Ce genre — l’élégie — est pourtant l’un des plus propres au sentiment qui, seul, constitue la poésie élégiaque mais, je te le dis, jamais tu ne trouveras, dans la froide manière de la vieille école, la touchante et pittoresque expression de la moderne. Prends vingt sujets semblables traités par des classiques, et compare-les aux fraîches et naïves compositions de la littérature moderne c’est la nuit, c’est le jour. Lis la simple et ingénieuse élégie de Rességuier, où tant de grâce respire ; lis l’orientale élégie de Victor Hugo, brillante de souplesse et de pensée lis Delorme, Mme Tastu, Émile Deschamps et de Vigny, J. Lefèvre, etc., etc. Lis-les, ô mon ami, et puis compare et juge.
Mais je te parle ici des différences qui sont entre les deux écoles. Dayot n’y a peut-être jamais pensé. S’il croit qu’une rime adaptée au bout d’une phrase fait la poésie, il se trompe. Il a donc eu tort de se servir d’expressions rabâchées depuis cinquante ans. Le siècle veut du nouveau ; ce qu’il veut,
- ↑ Marius-Ary Leblond, L’Adolescence de Leconte de Lisle (Revue des Revues du 15 août 1899).