Et, dans ces temps lointains où les dieux du polythéisme hellénique, encore tout près de leur naissance, régnaient puissamment sur l’imagination des hommes, déjàl’angoisse du doute étreignait les esprits.
Est-il donc, par delà leur sphère éblouissante,
Une Force impassible, et plus qu’eux tous puissante,
D’inaltérables dieux, sourds aux cris insulteurs,
Du mobile Destin augustes spectateurs,
Qui n’ont connu jamais, se contemplant eux-mêmes,
Que l’éternelle paix de leurs songes suprêmes[1] ?
Ainsi, dans le passé, comme dans le présent et dans l’avenir, il n’y a qu’une réalité qui demeure, immuable à travers les âges, c’est la souffrance humaine, toujours renouvelée, jamais apaisée. La constatation en est faite par le poète dans un passage qu’il faut citer, non seulement pour la magnifique beauté des vers, mais encore parce qu’il résume toute son expérience et toute sa philosophie de la vie :
Une plainte est au fond de la rumeur des nuits,
Lamentation large et souffrance inconnue
Qui monte de la terre et roule dans la nue
Soupir du globe errant dans l’éternel chemin,
Mais effacé toujours par le soupir humain.
Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde,
Plus forte que tes bruits innombrables du monde,
Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié,
Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié !
Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse,
Esprit qu’un aiguillon divin excite et blesse,
Qui t’ignores toi-même et ne peux te saisir,
Et, sans borner jamais l’impossible désir,
Durant l’humaine nuit qui jamais ne s’achève,
N’embrasses l’Infini qu’en un sublime rêve !
Ô douloureux Esprit, dans l’espace emporté,
Altéré de lumière, avide de beauté,
Qui retombes toujours de la hauteur divine
Où tout être vivant cherche son origine,
Et qui gémis, saisi de tristesse et d’effroi,
Ô conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi[2] !