comme dans un âge d’or. Son hellénisme se composa, pour une part, du sentiment de la beauté grecque, pour une part aussi de sa sympathie pour un peuple passionnément amoureux de la liberté. Mais il n’eut pas de fondement plus solide que son aversion pour la laideur du présent. Et, de la Grèce, ce qu’il aima, ce fut sans doute la Grèce classique, la Grèce historique, la Grèce « des héros, des chanteurs et des sages », la Grèce de Sophocle, de Phidias et de Platon ; mais ce fut au moins autant, sinon plus, la Grèce primitive, mythique, préhistorique, la Grèce pélasgique et anté-homérique, celle du légendaire Orphée et du fabuleux Khirôn. Dans cette nature et cette civilisation également primitives, il se trouvait à l’aise. Il y oubliait les vulgarités et les bassesses d’une civilisation corrompue et dégradée. Dans son hellénisme, en dépit de la différence du décor et de l’art, il entre un peu de la disposition d’esprit de ce Jean-Jacques qu’il avait lu jadis, dans les longs loisirs de son adolescence à Bourbon.
Mais l’apôtre du retour à la nature n’avait pas cru lui-même qu’il fût possible à l’homme de revenir, après des milliers d’années de vie sociale et de culture, à la vie sauvage et libre où il aurait trouvé le bonheur. De même le beau rêve grec de Leconte de Lisle n’était qu’un rêve de poète. Le passé ne pouvait plus revivre. Eût-il été désirable même de le faire revivre ? Dans ces temps lointains, il n’y avait pas que des heureux. Cette Grèce idéale connaissait déjà le blasphème on y souffrait déjà de l’injustice et de la méchanceté des dieux, et déjà l’humanité cherchait dans un passé plus lointain encore, le bonheur qu’il ne lui est jamais donné de saisir. « Tais-toi », dit Niobé à l’aède dont les chants en l’honneur de Zeus, d’Apollôn et d’Artémis l’ont excédée :
Il était d’autres dieux que les tiens, race auguste,
Dont le sang était pur, dont l’empire était juste…
Quant au dieu d’aujourd’hui, elle le traite à peu près comme Qaïn traite l’Iahveh biblique, les mêmes sentiments appelant les mêmes insultes :
Ô Zeus ! toi que de hais ! Dieu jaloux, Dieu pervers,
Implacable fardeau de l’immense univers…