avec les jeunes créoles qui faisaient cercle autour de lui, le dimanche, sur la grève de Saint-Paul. « Adieu, mon cher ami, prions pour Elle ! » — entendez pour la République — écrivait-il, quelques jours après son départ de Bourbon, à son ami Adamolle. Son séjour en Bretagne ne modifia pas ses sentiments, bien au contraire. Il se fit un plaisir, ne fût-ce que pour faire pièce à l’oncle Leconte, d’afficher ses sentiments républicains. À son retour en France, en 1845, ses espérances, ou, si l’on veut, ses illusions, se trouvèrent encore surexcitées par le milieu dans lequel il vécut. Quand éclata la révolution de 1848, il crut qu’elles allaient être comblées. Au bout de deux mois, on sait où il en était. La déception fut rude et la chute profonde. Toute l’orientation de sa pensée en fut changée. Les radieuses visions d’avenir, de paix, de bonheur universel, vagues — mais combien séduisantes ! — qu’il s’était complu à évoquer dans ses poèmes phalanstériens, s’effacèrent, en lui laissant le souvenir d’un mauvais rêve. H condamna à l’oubli la plupart des œuvres — dont certaines fort belles — où il les avait développées. Des trois ou quatre poèmes qu’il conserva de cette série, il effaça, avec un soin jaloux, tout ce qui pouvait rappeler l’état d’esprit dans lequel ils avaient été composés. Non pas qu’il rougît de s’être abusé ; mais il ne t’était plus, et il ne voulait plus le paraître, ni donner une adhésion, même platonique, à des espérances qu’il ne partageait plus. Il n’avait pas perdu sa foi dans la République ; il avait, ce qui est plus grave, perdu sa foi dans l’humanité. Désormais, il ne regarda plus l’avenir que pour entrevoir dans ses profondeurs la fin d’un monde où rien ne subsistait plus des généreux enthousiasmes, des passions sublimes, amour de la liberté, de la justice, de la beauté, qui avaient enflammé sa jeunesse, et qui lui paraissaient les seules raisons de vivre.
Il ne renonça pas pour cela à caresser ce rêve de bonheur, de bonheur individuel et de bonheur social, de vie riante et libre dans un monde plus beau, dont l’homme n’abandonne la poursuite qu’avec la vie, quand il n’est pas soulevé par une espérance surnaturelle qui lui en offre la réalisation par delà. Mais il le déplaça dans le temps et dans l’espace ; il le transporta de la