1848. Cette génération, chez nous, s’est distinguée entre toutes par la générosité de ses aspirations, la ferveur de son idéalisme et sa capacité d’illusions. Son idéal politique, c’était la République. Que la République était belle sous la monarchie de Juillet ! Son idéal social, c’était le bonheur de l’humanité. Elle inscrivait dans son credo la liberté, la justice et l’amour, l’égalité entre les citoyens, l’amélioration du sort du plus grand nombre, la paix universelle, la fraternité des peuples. Cet idéal est encore le nôtre. Mais, instruits par de dures expériences, nous savons combien il est difficile et long à réaliser. Nous savons que le progrès moral est une conquête de tous les instants sur l’égoïsme de l’homme, le fruit d’un effort patient et continu. Nous ne pensons pas qu’on puisse tout d’un coup transformer la société et le monde. On le croyait vers 1848. Tandis que les possédants s’engourdissaient dans leur bien-être, des esprits aventureux, touchés de la misère et des souffrances du peuple, cherchaient le moyen de substituer à l’ordre de choses qui semblait condamné un ordre de choses meilleur. C’est le temps où surgissaient de tous côtés les théories et les systèmes, les Utopies et les Icaries, les sociologies et les religions. Il semblait qu’on assistât à la naissance d’un culte nouveau, par qui le monde moderne serait régénéré, comme le monde antique l’avait été par le Christianisme. Plusieurs aspiraient à en être le prophète. Il y avait comme une attente universelle, et les poètes, interprétant ces aspirations obscures, se demandaient, selon le mot de l’un d’eux, avec un enthousiasme angoissé :
Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu[1] ?
Cette confiance dans l’avenir, cette conviction de l’aptitude supérieure d’une forme de gouvernement à instaurer le règne de la justice et de la paix parmi hommes, cette foi républicaine — et il faut ici donner au mot son sens mystique — Leconte de Lisle la possédait depuis ses jeunes années. Elle lui était commune
- ↑ Musset, Rolla.